Revue - Revue des contrats 3-2023 - 105

Théorie générale des sources
de l'interface des sites internet des administrations qui apparaissent
comme les supports les plus performants.
6. Quel est, dans ce contexte, le statut juridique de ces foires aux
questions, qui n'étaient pas envisagées par le Conseil d'État dans son
rapport sur le droit souple ? Aucune réponse univoque ne peut ici être
formulée. Au même titre que l'on trouvait, pour reprendre les mots
du président Tricot, « différentes marchandises sous le pavillon des
circulaires » (27)
, les foires aux questions recouvrent de multiples réalités
qui vont du propos le plus ordinaire à des prises de position porteuses
d'enjeux substantiels. Aussi bien, toutes les foires aux questions
ne rejoindront pas la catégorie des actes producteurs d'effets
notables justifiant l'ouverture du recours pour excès de pouvoir (28)
Il s'agit là, toutefois, d'un socle minimum que l'on peut attendre du
droit, aussi souple soit-il car c'est bien de droit qu'il s'agit ici même si,
par euphémisme, la jurisprudence du Conseil d'État préfère évoquer
les « effets notables » du droit souple plutôt que ses « effets juridiques
» (31)
. La force du droit souple ne peut s'affranchir des formes
qui sont nécessaires à sa légitimité (32). À l'heure où la doctrine s'est
emparée de la thématique des « nudges administratifs », qui sont
des sortes de normes psychologiques et gestionnaires soustraites à
tout contrôle (33)
, il paraît indispensable de rappeler l'évidence selon
laquelle le propre du droit est d'apporter un certain nombre de garanties
juridiques (34)
.
Il reste que, dans ce mouvement annoncé et observé de développement
des « foires aux questions », il serait utile de clarifier leur mode
d'emploi. Les administrations collectent-elles réellement les questions
posées par les intéressés ou conçoivent-elles, elles-mêmes,
les questions (29)
? Les administrations peuvent-elles les faire compléter
de nouvelles questions et, le cas échéant, comment faudraitil
traiter, dans le temps, un changement de doctrine du ministère ?
Il serait également utile, à défaut de signature, que soient identifiés
l'auteur des réponses et les circonstances dans lesquelles elles ont
été prises. Sans doute, toute exigence d'une formalisation du droit
souple tranche-t-elle avec la flexibilité qui préside à leur succès (30)
. Aussi bien et à tout le moins, l'on ne peut qu'approuver
la résonance contentieuse que manifeste la jurisprudence du
Conseil d'État à l'égard des transformations de l'action administrative
en attendant que le régime juridique des foires aux questions s'étoffe
car il n'est, assurément, pas plus que ne l'était celui des circulaires (35)
réductible au recours pour excès de pouvoir.
201n7
,
.
(27) CE, ass., 29 janv. 1954, n° 07134, Institution Notre-Dame du Kreisker : RPDA
1954, p. 50, concl. B. Tricot.
(28) Soulignons d'ailleurs qu'un certain nombre d'actes continuent d'être exclus
du recours pour excès de pouvoir. V. pour un état des lieux, N. Chifflot et M. Tourbe,
Droit administratif, 18e
éd., 2022, Sirey, Université, p. 848, évoquant certaines
mesures simplement indicatives, préparatoires, gracieuses ; et pour une approche
critique, G. Loiseau et S. Bloch, « Les techno-normes », Droit social 2021, p. 484.
(29) Par rapprochement avec la Cour de cassation, faisant les questions et les
réponses, dans le cadre de la procédure d'avis spontané, v. N. Molfessis, « Les avis
spontanés de la Cour de cassation », D. 2007, p. 37.
(30) Il est d'ailleurs significatif d'observer qu'au moment même où le régime juridique
des circulaires est le plus abouti, elle est qualifiée d'outils du passé.
(31) V. spéc. sur la distinction opérée entre les deux, CE, ass., 19 juill. 2019,
n° 426389, Mme
Le Pen : « Alors même qu'elle est dépourvue d'effets juridiques,
cette prise de position d'une autorité administrative, qui est rendue publique (...)
est de nature à produire, sur la personne du député qu'elle concerne, des effets
notables, notamment en termes de réputation ».
(32) CE, Le droit souple - Études annuelles 2013, La documentation française,
spéc. p. 61, relevant au titre des critères du droit souple que ces normes « présentent,
par leur contenu et leur mode d'élaboration, un degré de formalisation et
de structuration qui les apparente aux règles de droit ».
(33) J.-P. Markus, « Le nudge administratif », RFDA 2022, p. 85.
(34) V. pour une réflexion sur la place et le rôle du droit dans un contexte de
concurrence normative, F. Ost, À quoi sert le droit. Usages, fonctions, finalités, 2016,
Bruylant.
(35) X. Prétot, « Le régime des circulaires et institutions est-il réductible à la recevabilité
du recours pour excès de pouvoir ? », Mélanges en l'honneur de Franck
Moderne, 2004, Dalloz, p. 357.
Revue des contRats 3 - septembRe 2023
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