Revue - Revue des contrats 3-2023 - 110

201n8
Dossier
Le restructuring : instrument
d'adaptation du contrat
Afin de promouvoir la poursuite d'activité, le droit
des entreprises en difficulté permet d'imposer le
maintien des contrats au mépris du principe de la
force obligatoire. D'autres règles favorisent leur
aménagement, afin de les adapter aux besoins
et à la situation de l'entreprise en difficulté. Les
procédures amiables ou judiciaires du Livre VI du
Code de commerce apparaissent ainsi de nature à
permettre une adaptation du contrat à l'évolution
de la situation économique de l'un des parties,
davantage que les règles du droit commun des
obligations.
monétaire (1). À cet égard, le simple fait qu'en raison de l'évolution des
Par Augustin Aynès
Professeur à l'université Paris Est-Créteil (Paris 12), agrégé des facultés de droit
RDC201n8
1. Le contrat est le support de toute activité économique, laquelle
suppose que les entreprises établissent et maintiennent un faisceau
de liens contractuels. Or, les vicissitudes économiques peuvent être
telles que la pérennité de ces contrats peut s'en trouver menacée.
Il se peut, en effet, que l'entreprise ait manqué à certaines de ses
obligations, s'exposant à sa résolution, ou ne soit plus en mesure de
remplir les conditions imposées pour son maintien (par exemple des
ratios nécessaires au bénéfice d'une ouverture de crédit). À l'inverse,
les évolutions économiques peuvent rendre nécessaire l'adaptation,
voire la rupture anticipée de contrats devenus trop onéreux ou inutiles.
Confrontée à une baisse de son activité, une entreprise peut,
par exemple, souhaiter modifier un contrat de fourniture ou réduire la
surface des locaux pris à bail afin de réduire ses charges.
2. En cas de difficultés économiques, les mécanismes de droit commun
des obligations ne permettent pas réellement d'assurer le maintien
ou l'adaptation des contrats, pourtant indispensables à la poursuite
de l'activité.
C'est ainsi que les mécanismes de l'imprévision ou de la force
majeure trouveront difficilement à s'appliquer. La force majeure, qui
doit résulter d'un événement imprévisible et suppose que le débiteur
soit empêché d'exécuter, est inapplicable en présence d'obligation
circonstances économiques, l'exécution d'un contrat soit devenue
trop onéreuse pour l'entreprise débitrice ne relève certainement pas
de la force majeure. Quant à la révision pour imprévision, qui est un
remède lorsque le contrat est « simplement » devenu trop onéreux,
outre que rares sont les contrats dans lesquels il n'y a pas été renoncé,
elle suppose, également, un « changement de circonstances imprévisible
lors de la conclusion du contrat » (C. civ., art. 1195). Quand bien
même cette imprévisibilité pourrait être relative, il n'en demeure pas
moins que, sauf circonstances exceptionnelles, de simples évolutions
économiques conjoncturelles ne satisfont pas à cette exigence.
Si, dans la grande majorité des cas, une adaptation forcée du contrat
en vertu des règles du droit commun paraît ainsi inenvisageable, il
est vrai que rien ne s'oppose à la conclusion d'un avenant. Mais cela
suppose, évidemment, l'accord du cocontractant. Or celui-ci peut se
révéler très difficile à obtenir lorsque l'entreprise est en difficulté,
voire s'est déjà rendu coupable d'inexécution. Et, en tout état de
cause, cela suppose que soient menées des négociations dont la longueur
peut être incompatible avec l'urgence de la situation.
3. À l'inverse, le droit spécial des entreprises en difficulté connaît des
mécanismes qui peuvent, directement ou indirectement, offrir au
contractant acculé des solutions. On le sait, dans le but de favoriser
le sauvetage de l'entreprise et le maintien de son activité, certaines
règles du livre VI du Code de commerce dérogent au droit commun
des obligations et aux règles ordinaires du droit des contrats.
La plus importante d'entre elles (et la plus connue) est la règle de
la continuation des contrats en cours dans le cadre des procédures
judiciaires de traitement des difficultés des entreprises (sauvegarde,
redressement judiciaire ou liquidation judiciaire). Celle-ci permet un
maintien forcé du lien contractuel en dépit de certaines inexécutions
de la part du débiteur en difficulté, c'est-à-dire au mépris du principe
de la force obligatoire. Mais, même dans la conciliation, qui est
pourtant une procédure amiable, le juge dispose de certains pouvoirs
pouvant aboutir au même résultat. En outre, d'autres mécanismes
concourent à permettre un aménagement plus ou moins forcé du lien
contractuel, favorisant ainsi l'adaptation du contrat aux contraintes
économiques subies par l'une des parties.
Il apparaît ainsi que le recours aux procédures amiables ou judiciaires
de traitement des difficultés des entreprises est un puissant instrument
de maintien (I) ou d'aménagement forcé (II) des contrats.
NDA : Le style oral a été conservé.
(1) Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20306 : Bull. civ. IV, n° 118 ; D. 2014, p. 2217,
note J. François ; Rev. sociétés 2015, p. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014, p. 890, obs.
H. Barbier - CA Paris, pôle 1, ch. 2, 2 juin 2022, n° 21/19440 - Cass. 3e
2023, n° 21-10119.
civ., 15 juin
108
Revue des contRats 3 - septembRe 2023

Revue - Revue des contrats 3-2023

Table des matières de la publication Revue - Revue des contrats 3-2023