Revue - Revue des contrats 3-2023 - 31

Contrats et nouvelles technologies
de la licence susmentionnée, les utilisateurs sont propriétaires de
tous les actifs créés à l'aide des services, dans la mesure où la loi
en vigueur le permet » mais uniquement si l'utilisateur a souscrit un
compte professionnel payant (article 4), étant précisé qu'il est possible
de limiter un nouveau partage des images sur la plateforme afin
d'éviter leur remixage ultérieur. L'on peut, en effet, lire à l'article 4
que « Midjourney est une communauté ouverte qui permet à d'autres
d'utiliser et de remixer les images dès lors qu'elles sont affichées
dans un cadre public » en précisant que les images sont, par défaut,
« publiquement visibles et remixables » mais que la souscription d'un
compte professionnel permet de « contourner certains de ces paramètres
par défaut de partage public ». Le photographe, dans notre
exemple, pourrait donc limiter l'accès et la réutilisation, sur la plateforme,
des images qu'il aura générées via cette plateforme.
10. À quel point de vigilance les entreprises sont-elles tenues
en considération de cet écosystème contractuel ? Comme on l'a
compris, notre photographe et l'entreprise qui lui passe commande
vont pouvoir librement utiliser les images qui sont générées. La
licence qui est concédée à Midjourney ne remet nullement en cause
l'exploitation de l'œuvre générée par l'utilisateur. Tout au plus cette
exploitation va-t-elle se faire à ses risques et périls, ce qui justifiera
certainement de la part du prestataire une garantie d'éviction. Cette
chronique n'est pas le lieu pour discuter de ce point, toutefois nous
pensons que les réclamations de tiers à l'encontre du photographe
et de l'entreprise qui passe commande sont minimes contrairement
à ce que l'on peut lire, ici ou là, dans la presse « grand public ». Les
images sont générées à partir de milliers d'autres images, de sorte
qu'il y a des chances que les clichés originaux protégés soient rendus
méconnaissables dans le produit généré par l'intelligence artificielle.
Or, selon la Cour de justice de l'Union européenne, « un producteur de
phonogrammes » (mais le propos est tout à fait transposable au droit
d'auteur) peut « s'opposer à l'utilisation par un tiers d'un échantillon
sonore, même très bref, de son phonogramme aux fins de l'inclusion
de cet échantillon dans un autre phonogramme, à moins que cet
échantillon n'y soit inclus sous une forme modifiée et non reconnaissable
à l'écoute » (24)
. Bien évidemment le fait de recourir aux services
de l'IA pour générer les images n'emporte pas renonciation de l'entreprise
à faire valoir ses droits de propriété intellectuelle à l'encontre
de tout tiers concernant des images générées par ce service. Nous
songeons au droit d'auteur mais également au droit des marques ou
au parasitisme économique.
11. Obligation d'information de l'utilisation de l'IA. Droit de
l'Union et bonne foi contractuelle. Le dernier point qui mérite
l'attention concerne l'hypothèse où l'entreprise n'est pas associée,
(24) CJUE, 29 juill. 2019, n° C-476/17.
comme dans notre exemple, à un photographe qui va avoir recours
à l'IA pour créer à sa demande. Elle fait ici appel à un créateur free
lance qui lui-même utilise une IA générative dans le cadre de son
activité. La question se pose alors de savoir si ce créateur doit informer
cette entreprise. Selon nous, la réponse est assurément positive.
Les entreprises doivent, en effet, imposer au créateur de déclarer si
les prestations créatives confiées seront réalisées à l'aide d'une IA,
et dans l'affirmative, dans quelles conditions précises et avec quel
outil. Ceci découle du droit de l'Union en construction. À ce sujet, la
Commission européenne a publié une proposition de règlement qui
devrait s'appliquer courant 2024 et dont l'ambition est d'améliorer
la transparence concernant l'utilisation de l'IA (25)
. La solution est la
même sur des photographies dites « truquées ». La proposition de
règlement du 21 avril 2021 dispose ainsi, à propos de ce qu'il est
convenu d'appeler l'hypertrucage, que « si un système d'IA est utilisé
pour générer ou manipuler des images ou des contenus audio
ou vidéo afin de produire un résultat qui ressemble sensiblement à
un contenu authentique, il devrait être obligatoire de déclarer que le
contenu est généré par des moyens automatisés, sauf pour certaines
finalités légitimes faisant l'objet d'exceptions (domaine répressif,
liberté d'expression) » (26)
. On relèvera également que le droit de la
propriété intellectuelle a déjà mis en œuvre des mécanismes visant à
créer des obligations d'information et de transparence à la charge du
titulaire de droits. C'est en effet ce qui est prévu en droit des brevets
d'invention dans le but de permettre l'identification de la source des
ressources génétiques ou des savoirs traditionnels sur lesquels l'invention
faisant l'objet d'une demande serait fondée (27)
. Abstraction
faite du droit de l'Union, l'exigence résulte plus simplement, pour en
revenir au contrat, de l'obligation de bonne foi de l'article 1104 du
Code civil (et plus précisément de l'obligation d'information). Ne pas
révéler le recours à l'IA dans le cadre d'une prestation artistique est
certainement un acte de déloyauté vis-à-vis de son contractant.
Où l'on voit que ces technologies disruptives suscitent de très nombreuses
interrogations auxquelles le contrat répond de manière très
heureuse.
201n6
(25) PE et Cons. UE, proposition de règlement établissant des règles harmonisées
concernant l'intelligence artificielle (législation sur l'intelligence artificielle) et modifiant
certains actes législatifs de l'union, dit IA Act, 21 avr. 2021, n° 2021/0106 (COD).
(26) COM(2021) 206 final, § 5.2.4.
(27) V. les textes internationaux de la convention de Rio sur la diversité biologique
(1992) et du protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage
des avantages (2010).
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