Revue - Revue des contrats 3-2023 - 46

Contrats et droit des sociétés
à une durée indéterminée. En appel, les juges rejetèrent la demande
en nullité du pacte sur le fondement de la prohibition des pactes sur
succession future mais estimèrent la résiliation régulière en application
du principe de prohibition des engagements perpétuels. Un
double pourvoi fut alors formé, invitant la première chambre civile à
se prononcer sur les deux questions relatives au pacte sur succession
future et à la durée du pacte d'associés.
Sur la première question, la Cour de cassation approuve les juges
du fond d'avoir rejeté la nullité du pacte dans son entier pour violation
de la prohibition des pactes sur succession future. Le débat
portait cependant moins sur la qualification de pacte sur succession
future que sur l'effet de la nullité d'une clause d'un pacte. En effet,
l'une des clauses du pacte était, pour les juges du fond, contraire à
l'article 722 du Code civil, selon lequel les conventions qui ont pour
objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie
d'une succession non encore ouverte ou d'un bien en dépendant
ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi.
Il s'agissait de l'article 5 du pacte, qui prévoyait les modalités de remboursement
du compte courant d'associé détenu par le père dans la
société lors de l'ouverture de la succession. Tout en approuvant cette
analyse, la Cour de cassation ne considère pas que cette violation de
l'article 722 du Code civil devait entraîner la nullité de l'ensemble du
pacte, en rappelant que : « lorsque la cause de nullité n'affecte qu'une
ou plusieurs clauses du contrat, elle n'emporte nullité de l'acte tout
entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant
de l'engagement des parties ou de l'une d'elles ». On peut noter
que la formulation est très proche de celle du nouvel article 1184,
alinéa 1er
, du Code civil, qui n'était pas applicable à l'espèce. Ce principe
est souvent rappelé dans les pactes d'associés, pour éviter que
la sanction de l'une de ses clauses n'entraîne la chute du pacte tout
entier (3)
ce fondement est rapidement écarté.
La question était plus sensible s'agissant de la durée du pacte. Si
sensible, que la première chambre civile alla jusqu'à demander à la
chambre commerciale de délibérer sur le moyen la concernant, au
confluent du droit des contrats et du droit des sociétés. L'arrêt est
donc, en quelque sorte, « co-signé » par ces deux chambres, chacune
en ayant rédigé une partie. Signalons au passage que même si
la chambre commerciale n'est en principe compétente qu'en matière
de sociétés commerciales, la solution est parfaitement transposable
aux sociétés civiles dans la mesure où c'est un texte du droit commun
des sociétés qui est concerné. Le principe énoncé est donc
valable pour toute société, quelle que soit sa forme, qui fait l'objet
d'un pacte d'associés. La question posée était la suivante : le pacte
qui prévoit qu'il est conclu pour la durée de la société dont il est
l'objet est-il un contrat à durée déterminée, que chaque partie doit
exécuter jusqu'à son terme ? Ou bien doit-il être soumis au régime
des contrats à durée indéterminée, soit parce qu'il n'a pas de terme,
soit parce que sa durée est trop longue, et qu'il constitue ainsi un
engagement perpétuel pour ses signataires ? La cour d'appel avait
opté pour la deuxième solution. Elle est censurée sur ce point par la
Cour de cassation qui estime, dans un attendu lapidaire et au double
visa des articles 1134, alinéa 1er
ancien, et 1838 du Code civil, que « la
prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure
un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que
(3) On parle de clause de nullité partielle ou de clause d'indivisibilité (M. Latina,
« Clause de divisibilité ou d'invisibilité », in F. Buy et a. (dir.), Les principales clauses
des contrats d'affaires, 2e
éd., 2018, LGDJ, nos
44
504 et s., EAN : 9782275061702).
Revue des contRats 3 - septembRe 2023
. Jugé inopérant, le pourvoi qui critiquait les juges du fond sur
les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ». Cette solution
semble signer la fin du débat sur la durée des pactes d'associés,
même si certaines incertitudes demeurent (I). Sa portée pose également
question (II).
I. La fin du débat relatif à la durée
des pactes d'associés ?
A. Une solution attendue
Depuis quelques années, les praticiens se heurtaient à une problématique
qui leur résistait, celle de la durée du pacte d'associés. Les
données du problème sont simples. Le pacte d'associés a pour objet
de régir les relations entre tout ou partie des associés d'une société,
en complément du contrat de société. L'idée est souvent que le
pacte demeure obligatoire entre les parties aussi longtemps qu'elles
demeurent associées de cette société. Cette volonté, dont la logique
en pratique se conçoit aisément, n'est pas si facile à traduire en droit
en raison de deux règles relatives à la durée des contrats : l'existence
d'un terme et la prohibition des engagements perpétuels.
Deux écueils doivent ainsi être évités par le rédacteur du pacte pour
lui assurer une pleine efficacité et éviter que l'un des signataires ne
puisse se délier de son engagement. Le premier est la stipulation d'un
véritable terme, qui permet d'emporter la qualification de contrat à
durée déterminée et, avec elle, l'obligation pour les parties de respecter
les obligations qu'il contient sans possibilité d'y mettre fin librement,
de manière anticipée. Or, la chambre commerciale avait estimé
en 2007 qu'un pacte qui prévoyait qu'il durerait tant que les parties
« demeureront ensemble actionnaires de la société » ne pouvait être
qualifié de contrat à durée déterminée (4)
. Quant au pacte adossé
sur la durée de la société elle-même, la Cour de cassation ne s'était
jamais clairement prononcée avant le présent arrêt mais la cour d'appel
de Paris avait récemment estimé que, en stipulant expressément
dans le pacte une clause de durée faisant référence à la durée de la
société, « les parties ont bien entendu appliquer un terme précis à
leurs engagements au titre du pacte d'actionnaires » (5)
. Le deuxième
écueil est celui de la prohibition des engagements perpétuels. À supposer
que le pacte comporte bien une durée déterminée, encore fautil
que cette durée ne soit pas trop longue pour ne pas contrevenir
à la prohibition des engagements perpétuels. En effet, dans cette
hypothèse, l'article 1210 du Code civil - et la jurisprudence, pour les
contrats conclus avant le 1er
octobre 2016 (6)
- applique aux engagements
perpétuels le régime des contrats à durée indéterminée, c'està-dire
la possibilité pour chaque partie d'y mettre fin à tout moment
moyennant le respect d'un préavis contractuel ou raisonnable. Or,
un pacte d'associés dont la durée est adossée à celle de la société,
(4) Cass. com., 6 nov. 2007, n° 07-10620 : BJS févr. 2008, n° 31, p. 125, note
X. Vamparys ; D. 2008, p. 1024, note B. Dondero ; Rev. sociétés 2008, p. 429,
note J. Moury ; RTD civ. 2008, p. 104, obs. B. Fages ; RTD com. 2007, p. 169, note
P. Le Cannu ; Dr. sociétés 2008, comm. 10, note H. Hovasse ; JCP E 2008, 1829, note
A. Constantin ; JCP E 2008, 1280, n° 5, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker.
(5) CA Paris, ch. com., 15 déc. 2020, n° 20/00220, Sté Kering c/ Sté Analytic Project :
Dr. sociétés 2021, comm. 46, note R. Mortier ; Rev. sociétés 2021, p. 305, note
J. Heinich.
(6) Cass. com., 21 sept. 2022, n° 20-16994, F-B : BJS janv. 2023, n° BJS201q3, note
T. Massart ; GPL 22 nov. 2022, n° GPL442u9, note M. Cormier ; JCP G 2022, 2287, note
G. Loiseau ; JCP G 2022, 2086, note S. Schiller, « les engagements perpétuels ne sont
pas sanctionnés par la nullité du contrat, mais chaque contractant peut y mettre
fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement
prévu ou à défaut un délai raisonnable ».

Revue - Revue des contrats 3-2023

Table des matières de la publication Revue - Revue des contrats 3-2023