Revue - Revue des contrats 3-2023 - 50

Contrats et droit des sociétés
201q2
Revirement sur les
nullités des décisions
collectives dans
la SAS : en attendant
le législateur...
La violation d'une clause statutaire
prévoyant, en application de l'article L. 2279,
alinéa 1er
, du Code de commerce, le
domaine de compétence de la collectivité
des associés et les modalités des décisions
collectives, entraîne désormais la nullité des
décisions sociales en application de l'alinéa 4
du même article, lorsque cette violation
est « de nature à influer sur le résultat du
processus de décision ». Ce revirement de
jurisprudence, justifié par un impératif de
bon fonctionnement et de sécurité de la SAS,
pose un certain nombre de questions.
Il est souhaitable qu'il provoque une réaction
législative.
Cass. com., 15 mars 2023, no
21-18324, FS-B
Par Marie Caffin-Moi
Professeur à l'université Paris-Panthéon-Assas
RDC201q2
(1) Y. Picod, Rép. civ. Dalloz, vo
L
'arrêt du 15 mars 2023 - appelons le Larzul 2 - a été rendu par
la Cour de cassation et particulièrement par sa chambre commerciale
qui, tel un cheval fougueux, semble depuis quelques
mois vouloir sauter un à un tous les obstacles rencontrés sur sa
route, foulant parfois les terres du législateur.
Il s'agit d'un arrêt important et remarqué qui améliore, certes dans
le cadre restreint du régime des décisions collectives dans la SAS, la
sanction de la violation des statuts, laquelle se heurtait à la citadelle
de la théorie des nullités en droit des sociétés. Bien que concernant
au premier chef le droit des sociétés, cet arrêt a sa place dans ces
colonnes non seulement parce qu'il est question de force obligatoire
des statuts, lesquels sont l'expression formalisée du contrat
de société, mais aussi parce que les sanctions en droit des contrats
pourraient peut-être inspirer les solutions rendues en droit des sociétés.
Pour présenter ce qui constitue indéniablement un revirement de
jurisprudence, il convient d'étudier le contexte (I), le sens (II) puis les
perspectives (III) de la solution.
Nullité, n° 38 ; ajouter D. Deroussin, « Pas de nullité
sans texte. Éléments pour une archéologie d'une directive », RDC mars 2018,
n° RDC114z8.
(2) D. Pouyaud, in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique,
2003, PUF, vo
Nullité, spéc. p. 1088.
(3) Pour reprendre l'expression suggérée par E. Guégan, Les nullités des décisions
sociales, 2020, Dalloz, préf. R. Mortier ; v. également L. Godon, La société par actions
simplifiée, 2014, LGDJ, nos
432 et s, EAN : 9782275037035.
(4) Pour une présentation de l'ensemble de la question, Étude Joly Sociétés,
Nullités des décisions sociales, n° S_EN020, A. Rabreau.
(5) Et par assimilation, la violation de dispositions impératives issues du décret
n° 78-704 du 3 juillet 1978 faisant grief (Cass. ch. mixte, 16 déc. 2005, n° 04-10986 -
Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-21928) et du décret n° 67-236 du 23 mars 1967,
codifié aux articles R. 210-1 et suivants du Code de commerce (Cass. com., 15 avr.
1982, n° 80-15566). Ou encore, comme cela a été récemment démontré, la violation
de règles impératives autres, comme par exemple l'article L. 820-3-1 du Code de
commerce sur la nomination du commissaire aux comptes : v. Cass. com., 21 juin
2023, n° 21-19985 : BJS sept. 2023, n° BJS202g9.
(6) V. E. Guégan, Les nullités des décisions sociales, 2020, Dalloz, préf. R. Mortier,
nos
15 et s., décrivant le système des nullités antérieur à la loi du 24 juillet 1966.
(7) Aujourd'hui PE et Cons. UE, dir. n° 2017/1132, 14 juin 2017, relative à certains
aspects du droit des sociétés.
(8) V., démontrant que la SAS n'est pas la seule société concernée par cette difficulté,
HCJP, Rapport sur les nullités en droit des sociétés, 27 mars 2020, spéc. p. 19
et s.
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Revue des contRats 3 - septembRe 2023
I. Le contexte
« Pas de nullité sans texte » : si la maxime née sous la plume des
canonistes (1)
périmée, d'une loi qui a tout prévu » (2)
évoque, en droit français, une « vision idéale, aujourd'hui
, elle est néanmoins vivace en
droit des sociétés. Les nullités tant des sociétés que des décisions
sociales (3)
sont, en effet, strictement encadrées et soustraites au droit
commun des nullités des actes juridiques par les articles 1844-10 et
suivants du Code civil et L. 235-1 et suivants du Code de commerce (4)
,
lesquels sont en partie inspirés par le droit européen. La nullité des
sociétés et la nullité des actes et délibérations des organes sociaux
sont toutefois deux questions bien distinctes, seule la seconde étant
concernée par l'arrêt. Les dispositions précitées restreignent les
hypothèses de nullité des actes et délibérations à la violation de certaines
règles. D'abord, les deux articles réservent la nullité aux cas
de violation d'une disposition impérative localisée dans les titres IX
du livre III du Code civil ou dans le livre II du Code de commerce ou
de l'une des conditions de validité des contrats (5)
. L'article L. 235-1
ajoute ensuite une distinction entre les actes modifiant et ceux ne
modifiant pas les statuts, prévoyant que la nullité ne puisse, dans le
premier cas, résulter que d'une disposition expresse, c'est-à-dire une
nullité non plus virtuelle mais textuelle. Cette restriction des causes
de nullité n'est que l'une des manifestations de l'aversion du droit
des sociétés pour les nullités. Il faudrait y ajouter que ce dernier multiplie
les cas de régularisation, raccourcit les prescriptions et amoindrit
les effets des nullités qu'il concède.
Ce rejet des nullités prend racine dans l'histoire (6)
même si, dans sa
forme actuelle, le dispositif date de la loi du 24 juillet 1966, laquelle
a été inspirée en partie par sa contemporaine, la première directive
(7)
, dont l'objectif est de protéger les tiers et d'éviter les nullités
des sociétés dont on ne maîtriserait par les effets. Le dispositif
contenu dans le Code civil et dans le Code de commerce dépasse
la directive, dès lors qu'il étend son influence aux actes et délibérations
sociales qui y sont étrangers. Cette théorie dérogatoire des
nullités s'est cependant heurtée au mouvement de contractualisation
des sociétés, dont l'une des manifestations les plus topiques fut la
création de la SAS (8)
. La conséquence de la restriction des causes de

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