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Droit de la consommation
du ministère public, devant les juridictions de l'ordre judiciaire, ou du
gouvernement, devant les juridictions de l'ordre administratif, et par
une décision spécialement motivée, le condamner au paiement d'une
sanction civile, dont le produit est affecté au Trésor public ». Le texte,
directement inspiré, semble-t-il, du projet de réforme du droit de la
responsabilité civile de 2017 (24)
, dit les choses assez clairement. Une
personne agissant à titre professionnel qui cause un dommage sériel
(qui sera défini infra) peut être condamnée au paiement d'une somme
affectée au Trésor : l'aspect punitif est bien présent puisqu'il ne s'agit
pas là d'une somme destinée à réparer un préjudice, et il ne s'agit
pas non plus, à proprement parler, de dommages et intérêts punitifs
puisqu'ils ne sont pas destinés à la victime, si toutefois l'on retient ce
critère de définition. Le fait que cette sanction ne puisse être demandée
que par le ministère public (et non par le demandeur) renforce
assurément la nature « pénale » de la sanction civile. La question qui
peut alors se poser est de savoir si cette disposition est nécessaire à
assurer l'effectivité de l'action de groupe : la réponse est sans doute
négative. En revanche, dans une perspective d'efficacité, la réponse est
probablement différente. En réalité, il existe un lien entre l'existence
d'un mécanisme punitif, quelle qu'en soit l'appellation, et le choix
opéré par le législateur français de l'opt-in. En effet, dans une perspective
d'efficacité, il est évident que l'intérêt de l'action de groupe
dépasse la protection des seules victimes actuelles, même si cet objectif
est évidemment essentiel. Par cette action, des victimes qui peutêtre
n'auraient pas agi, en raison de la modicité du dommage subi (25)
trouvent ici satisfaction. Mais, au-delà de cela, l'action permet dans
le même temps la sanction d'un comportement qui en son absence
perdurerait (26)
. Cependant, pour être pleinement efficace, encore fautil,
idéalement, que la réparation soit au moins équivalente au bénéfice
recueilli par le manquement. Même si le calcul peut paraître d'une
grande froideur, il convient de ne pas l'occulter. Or le système actuel
de l'opt-in fait que le montant des sommes effectivement dues dépend
uniquement du nombre de victimes ayant adhéré au groupe. Et il y a
fort à parier - même si l'expérience en la matière est réduite compte
tenu du faible nombre d'actions engagées - que ce nombre ne soit
pas égal au nombre de victimes, soit que les mesures de publicité ne
les aient en pratique pas atteintes, soit qu'elles décident de ne pas
adhérer, pour quelque raison que ce soit. Il peut donc en résulter que le
bénéfice de la pratique demeure, au moins pour partie... Tel ne serait
pas le cas, en revanche, dans le cas d'un système fondé sur l'opt-out,
ce qui conduit certains auteurs à regretter le choix ici fait (27)
. Pour notre
part, le choix de l'opt-in nous paraît préférable, en ce qu'il implique une
volonté claire de la personne d'adhérer, non pas d'ailleurs à l'action
mais bien au jugement, ce qui nous semble plus compatible avec les
règles processuelles. Dès lors, la sanction civile apparaît comme un
complément bienvenu, si ce n'est nécessaire. Il renforce en outre, par
la menace qu'il fait peser, l'effet prophylactique de l'action de groupe.
La deuxième série de précisions est relative aux conditions requises
pour imposer une telle sanction. En effet, et comme le rappelait le
Conseil d'État, il n'est pas possible d'en rester à une simple pétition
de principe. Le texte énonce donc deux conditions. D'abord, l'auteur
(24) Et de l'article 1266-1 du Code civil qu'il propose.
(25) Cela est surtout vrai pour certaines actions de groupe, comme en matière
de droit de la consommation. En revanche, cela est moins le cas pour l'action de
groupe santé par exemple, où un dommage corporel est subi.
(26) Pour la même raison.
(27) R. Amaro et L. Usunier, « L'action de groupe à la française fait peau neuve »,
D. 2023, p. 1064.
,
du dommage doit avoir délibérément commis une faute « en vue
d'obtenir un gain ou une économie indu ». On reconnaît là l'idée de
faute lucrative, dont la sanction doit permettre de déjouer un calcul
économique cynique : commettre la faute serait économiquement
plus intéressant que de ne pas la commettre... Remettre un peu de
surmoi dans le droit de la responsabilité civile n'est sans doute pas
inutile, tant ce qui va sans dire va tout de même mieux en le disant.
Ensuite, le fait générateur doit avoir causé « un ou plusieurs dommages
à plusieurs personnes physiques ou morales placées sans une
situation similaire », ce qui définit le dommage sériel tel qu'évoqué
dans le titre du chapitre contenant cette disposition. Ici, la similarité
s'applique à la situation des victimes, et non au dommage qu'elles
subissent, lesquels pouvant dès lors être de natures différentes.
Enfin, la troisième série de précisions permet de placer ce mécanisme
dans le sillage d'une juste proportionnalité. Ainsi, le montant
de la sanction doit être proportionné non seulement à la gravité de
la faute mais encore au profit réalisé par l'auteur de la faute (gain ou
économie). Le texte, rappelant là encore le projet de 2017, limite ce
montant, si l'auteur est une personne physique, à deux fois celui du
profit réalisé et, s'il s'agit d'une personne morale, à 3 % du chiffre
d'affaires moyen annuel, hors taxes, calculé sur les trois derniers
exercices. Enfin, le texte précise que cette sanction civile peut se
cumuler avec une amende administrative ou pénale, mais dans ce
cas le montant global prononcé ne peut être supérieur au maximum
légal le plus élevé. Et ce risque n'est pas assurable.
Alors que le projet de réforme de la responsabilité civile peine à
- légalement - voir le jour, l'une de ses dispositions emblématiques
pourrait être consacrée par le biais de la réforme de l'action de
groupe. À dire vrai, les deux textes, le projet et la proposition, sont
très similaires sans être totalement identiques. Ainsi, le projet prévoit
que l'amende civile peut être demandée par la victime ou le ministère
public, lorsque la proposition réserve ce droit au seul ministère
public ; dans le projet, le montant de l'amende résulte de la prise
en compte de trois éléments : la gravité de la faute, le profit réalisé
mais aussi les facultés contributives de l'auteur, alors que dans la
proposition ce dernier élément est occulté ; l'amende civile ne peut
être supérieure, si l'auteur est une personne physique, au décuple
du profit réalisé, alors que dans la proposition il ne peut être supérieur
au double ; l'amende civile peut être portée, si l'auteur est une
personne morale, à 5 % du chiffre d'affaires, alors que ce plafond est
de 3 % dans la proposition ; les sommes récoltées sont prioritairement
(28)
affectées à un fonds d'indemnisation dans le projet, et au
Trésor public dans la proposition.
La proposition de loi n'en est qu'au début de son cheminement législatif,
mais l'esprit de ses principales dispositions nous semble aller
dans le bon sens : celui d'une simplification d'ensemble qui prend les
dehors de la généralité. La lisibilité et partant la compréhension du
mécanisme devraient en être accrues, gage peut-être d'une meilleure
attractivité. Certes, les arcanes subsistent, mais est-il possible de
faire autrement avec un texte essentiellement procédural ? L'avenir
seul nous dira si les équilibres du texte se maintiennent au fil des
débats et, plus important, si une fois promulguée l'action de groupe
nouvelle s'inscrira dans la réalité judiciaire (29)
201o2
.
(28) Et subsidiairement au Trésor public.
(29) Une dernière précision est apportée par la proposition, qui semble aller de
soi : « Est réputée non écrite toute clause ayant pour objet ou pour effet d'interdire
à une personne de participer à une action de groupe » (art. 2 septies).
Revue des contRats 3 - septembRe 2023
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