Revue - Revue des contrats 4-2023 - 3

RDC201s1
Geneviève Viney (1937-2023)
201s1
In memoriam
Par Jean-Sébastien Borghetti
Professeur à l'université ParisPanthéon-Assas
Anne
Danis-Fatôme
Professeure à l'université Paris
Nanterre
Olivier Deshayes
Professeur à l'université Paris
Nanterre
Et Cécile Pérès
Professeur à l'université ParisPanthéon-Assas
G
eneviève
Viney nous a quittés le 2 octobre 2023.
Pour l'ensemble de la communauté des juristes français mais aussi
pour nombre de ses collègues étrangers, c'est une perte immense.
Elle laisse une œuvre remarquable, commencée par sa thèse de doctorat
(Le déclin de la responsabilité individuelle, 1963) et qui s'achève
par de récentes livraisons faites pour la chronique dont elle avait la charge à la Revue des
contrats. Chacun sait les nombreux ouvrages, contributions à des colloques, articles et commentaires
de jurisprudence qui la composent. Chacun sait surtout les qualités exceptionnelles
qui y éclatent. Geneviève Viney avait cette capacité à rendre les choses simples, intelligibles, à
leur donner du sens. Elle savait faire émerger de la cohérence, déceler des tensions, des lignes
de force, des tendances dans la matière foisonnante qu'est le droit de la responsabilité civile. Elle
n'en éludait pourtant aucun détail. Elle en connaissait les moindres aspects. Mais plus encore
que sa maîtrise de la matière, c'est sa profondeur de vue et sa détermination dans la défense de
ses convictions qui forçaient l'admiration. Derrière la technique du droit, Geneviève Viney savait
en effet voir et gardait constamment à l'esprit les enjeux sociaux, politiques et humains. Jamais
elle n'a oublié ni n'a cessé de rappeler que le droit est fait pour l'homme, et non l'homme pour le
droit. Son talent de juriste, elle l'a mis au service de la justice : une justice humaniste, protectrice
des faibles et de ceux que la vie accable. Engagée, elle savait critiquer - et parfois très fermement
- les lois ou les décisions de justice qui lui semblaient erronées ou injustes. Mais, se voulant utile,
elle s'employait alors toujours à proposer des solutions, concrètes et réalistes, pour améliorer
les choses. Bref, par la manière qu'elle avait d'allier rigueur et humanité, de déployer la meilleure
technique juridique sans jamais perdre de vue le souci de la justice et des personnes, Geneviève
Viney a été pour nous comme pour beaucoup un modèle.
Au-delà de l'éloge que mérite une juriste exceptionnelle, nous souhaitons surtout rendre hommage
à la personne que fut notre directrice de thèse et dire notre reconnaissance d'avoir
pu cheminer avec elle. Sa disponibilité pour les doctorants que nous étions était réellement
hors du commun. À peine lui avions-nous remis des synthèses de travail, des propositions de
plan ou des passages rédigés de ce qui devait devenir nos thèses qu'elle nous téléphonait et
nous conviait très rapidement chez elle où elle nous recevait dans son appartement, dont la
vue plongeait sur le jardin du Luxembourg, rue de Vaugirard. Ses attentes à notre égard reflétaient
sa propre conception du droit. S'il nous était permis de développer des raisonnements
conceptuels - avec l'enthousiasme propre aux jeunes chercheurs ! -, il nous fallait toujours
tenter d'identifier ou de mieux faire ressortir les conséquences pratiques de nos propositions.
Combien sa vision et ses conseils ont été pour nous formateurs ; comme nous mesurons, peutêtre
plus encore aujourd'hui, combien ils étaient justes. Mais, dans l'exercice de la direction de
thèse, elle n'imposait rien ; elle suggérait toujours. Notre pensée pouvait librement se déployer,
y compris pour avancer des idées qu'elle ne partageait pas. Ses remarques, sur les documents
que nous lui adressions, étaient souvent accompagnées de prudents points d'interrogation,
signes peut-être - du moins est-ce ainsi que nous les percevions - de son souci de ne pas nous
décourager dans ce difficile parcours initiatique qu'est la thèse. Sa gentillesse et son écoute
ont été constantes pendant toutes les années qui ont suivi. Nous nous souvenons de chacun
de ses encouragements dans les épreuves de tous ordres que nous avons pu traverser. Nous
nous souvenons de sa joie sincère, mais toujours discrète, et de son sourire lumineux lorsque
nous franchissions des étapes professionnelles. Nous nous souvenons de son enthousiasme
à participer aux manifestations scientifiques ou travaux d'écriture dans lesquels nous l'avons
entraînée. Nous nous souvenons aussi de son attention à nos vies personnelles, à nos familles,
à nos enfants. Avec chacun de nous, elle a su établir et maintenir, tout au long de ces années,
un lien d'une grande richesse, mêlé de délicatesse et d'affection.
Ses propres mots, placés dans l'avant-propos de la deuxième édition de ses Conditions de la
responsabilité civile (LGDJ, 1998, VI), disent mieux que nous ne saurions le faire l'attention qu'elle
portait aux autres et en particulier à tous ses étudiants. On y lit sa gentillesse et son humilité : «
Je tiens enfin à dire à tous mes étudiants auxquels j'ai eu le plaisir de donner un enseignement,
que leur attention chaleureuse, leurs réactions, leur désir d'aller plus loin dans la découverte du
droit ont été pour moi le principal stimulant dans la poursuite de mes recherches. Qu'ils en soient
remerciés ».
Ses élèves reconnaissants.
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Revue des contRats 4 - décembRe 2023
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