Revue - Revue des contrats 4-2023 - 37

Contrats translatifs
Si certains auteurs ont encouragé la Cour dans cette voie (29)
, nous
ne partageons pas cette opinion. À notre sens, la chambre mixte
mélange des choux et des carottes. Les dispositions transitoires de
la loi de 2008 ne concernent que l'allongement ou la réduction du
délai de prescription. Or, si comme le laisse entendre la Cour, l'article
L. 110-4 du Code de commerce jouait avant la réforme le rôle
d'un délai butoir (et non d'un délai de prescription), on ne peut pas
évoquer un allongement de dix à vingt ans du délai de prescription.
Quant à l'article 2232 du Code civil, il instaure expressément un délai
butoir (et non un délai de prescription). Comment opérer une comparaison
de longueur entre un délai de prescription et un délai butoir ?
Entre un délai doté d'un point de départ objectif (le délai butoir) et un
délai assorti d'un point de départ glissant (le délai de prescription) ?
Comme affirmer que la loi du 17 juin 2008 a réduit « de trente à vingt
ans » le délai de prescription ? C'est pour le moins inexact : la loi du
17 juin 2008 a réduit de trente à cinq ans le délai de prescription de
droit commun et elle a instauré un délai butoir de vingt ans à compter
de la naissance du droit.
Ce sont là deux choses différentes. Au risque de la tautologie, rappelons
que le délai butoir n'est pas un délai de prescription (30)
. Doté d'un
point de départ mécanique, il suit un cours inaltérable. Il ne connaît
pas l'adage contra non valentem. Il ne peut ni voir son point de départ
reporté, ni être suspendu, ni être interrompu. Au contraire : il tient en
échec les reports du point de départ, les suspensions ou les interruptions
du délai de prescription.
Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. Est-ce
pour cela que la Cour paraît gênée aux entournures, en n'osant pas
écrire que la loi du 17 juin 2008 a réduit de trente à vingt ans le délai
« de prescription » ? Tel le cardinal de Retz, elle demeure dans l'ambiguïté
en évoquant le délai « de mise en œuvre de l'action en garantie
des vices cachés », même si dans la pratique, elle raisonne nécessairement
en termes de prescription, faisant une baroque application de
l'article 26, qui ne traite que de l'allongement ou de la réduction « de
la durée d'une prescription ».
Sur le fond, on pourra trouver le délai butoir choisi par la Cour de cassation
trop long. Vingt ans, c'est très long, surtout comparé aux cinq
ans que permettrait l'article L. 110-4 du Code de commerce. Vingt
ans, c'est très long, comparé aux dix ans applicables en matière de
produits défectueux (31)
tion de Vienne sur la vente internationale de marchandises (32)
ou aux deux ans qui découlent de la conven.
Vingt
ans, c'est également bien long au regard des dix ans que proposaient
l'offre de réforme Capitant (33)
et la commission Stoffel-Munck (34)
.
Au-delà de ce choix de politique, consistant à emprunter le délai
butoir de droit commun plutôt que d'en créer un spécifique aux vices
(29) J.-S. Borghetti, « La Cour de cassation butte toujours sur le délai butoir en
matière de garantie des vices cachés », RDC mars 2021, n° RDC117n1. L'auteur
estime, citant Roubier, qu'on aurait pu faire application du délai butoir à une situation
constituée antérieurement, mais également que l'on aurait pu s'appuyer sur
les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 et considérer que le « nouveau
» délai butoir de vingt ans est plus court que « l'ancien » de trente ans.
(30) Rappr. F. Rouvière, « La distinction des délais de prescription, butoir et de
forclusion », LPA 31 juill. 2009, p. 7.
(31) C. civ., art. 1245-15.
(32) Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, art. 39.
(33) Association Henri Capitant, Offre de réforme du droit des contrats spéciaux,
art. 32.
(34) Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, juill. 2022, art. 1648,
rédaction alternative.
cachés, ce qui nous heurte, c'est la méthode employée. Faire passer
un délai butoir pour un délai de prescription, assimiler ab initio la
vente commerciale et la vente civile pour leur accorder, in fine, deux
régimes différents, tout ceci ne paraît pas favoriser la lisibilité du droit
et la sécurité juridique.
Le « trou dans la raquette ». Terminons avec une dernière scorie.
La Cour passe sous silence les ventes civiles conclues avant le
19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi portant réforme de
la prescription. Si les ventes commerciales sont toutes soumises au
délai butoir de vingt ans, à l'instar des ventes civiles postérieures, les
ventes civiles antérieures ne semblent sujettes à aucun encadrement.
La chambre mixte ne reprend pas à son compte la formule de la troisième
chambre civile selon laquelle « l'article 2224 du Code civil, qui
a réduit ce délai à cinq ans, en a également fixé le point de départ au
jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits
lui permettant de l'exercer, ce qui annihile toute possibilité d'encadrement
de l'action en garantie des vices cachés, le point de départ
de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le
point de départ du délai pour agir prévu par l'article 1648 du même
code, à savoir la découverte du vice » (35)
.
Son silence demeure troublant. Faut-il comprendre que, pour les
ventes antérieures au 19 juin 2008, l'action en garantie des vices
cachés peut être exercée ad vitam aeternam ? Que le vendeur pourrait
se voir contraint de se défendre trente, quarante ou cinquante
ans plus tard, au motif qu'un sous-acquéreur aura découvert un
vice ? Cela ne paraît pas raisonnable.
Conclusion. Au sortir de ces quatre arrêts de chambre mixte, c'est
la déception qui l'emporte. Déception sur le fond, car nous maintenons
qu'un encadrement temporel plus strict eût été opportun. Vingt
ans, c'est trop long. Déception sur le fond, encore, quant à l'absence
de tout encadrement pour les ventes civiles antérieures à 2008.
« L'éternité c'est long, surtout vers la fin » (36)
.
Déception, encore, eu égard à la pauvreté d'une motivation prétendument
« enrichie ». Pourquoi le délai biennal est-il une prescription
plutôt qu'une forclusion ? En quoi la loi du 17 juin 2008 a-t-elle modifié
l'article L. 110-4 du Code de commerce, en le privant du rôle de
délai butoir qui était le sien ? En quoi est-il logique d'assimiler la prescription
des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce
? Pourquoi le point de départ de l'article L. 110-4 serait-il par
principe « glissant » ? Ce point de départ glissant de l'article L. 110-4
du Code de commerce ne joue-t-il qu'en matière de vices cachés ?
Autant de points sur lesquels la Cour ne motive pas sa décision.
Déception, enfin, quant au raisonnement. Si la Cour de cassation
a évité de reprendre à son compte quelques arguties passées (on
songe notamment à l'antinomique délai butoir suspendu (37)
), on ne
peut que regretter qu'une formation si prestigieuse de la haute juridiction,
ayant entendu un aréopage d'avocats aux conseils talentueux,
engendre une décision si mal ficelée. Fonder une décision tant
attendue sur un « truc » consistant à confondre, sans oser le dire,
délai de prescription et délai butoir pour mieux tourner les règles de
conflits de lois dans le temps laisse un goût amer.
201q8
(35) Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-21439.
(36) L'aphorisme est attribué à W. Allen.
(37) Cass. 3e
civ., 6 déc. 2018, n° 17-24111.
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