Revue - Revue des contrats 4-2023 - 60

Droit de la concurrence
dimanche soir, par exemple) sera tenté de répercuter sur le consommateur
les investissements réalisés. En juillet 2023, Amazon a déjà
augmenté les tarifs français de son abonnement et la tendance ne
devrait pas se démentir pour le prochain appel d'offres. Pour remédier
à l'existence d'une telle structure concurrentielle non-optimale,
des garde-fous ont été érigés. Il a ainsi été préconisé de « découper »
l'offre en « un nombre suffisant de lots équilibrés (...) afin de ne pas
privilégier a priori un opérateur en position dominante » (16)
. Pour les
autorités, il faut aussi « éviter la constitution d'un lot ou de quelques
lots trop importants qui ne pourraient être acquis que par les opérateurs
les plus puissants, mais aussi de lots composés de telle sorte
que leur indépendance ne soit qu'apparente » (17)
. La crainte est l'accumulation
de droits exclusifs par un seul opérateur conduisant à
exclure les autres diffuseurs (18)
. Pour diluer les risques concurrentiels
identifiés, les autorités insistent depuis plusieurs années sur la nécessité
de prévoir des durées d'exclusivité limitées.
II. Le match : l'allongement de la durée
des contrats portant sur les droits TV
du football ne heurte pas le bien-être
du consommateur
Jusqu'à présent, le Code du sport prévoyait que « les contrats sont
conclus pour une durée qui ne peut excéder quatre ans ». La modification
envisagée par le projet de décret porte à 5 ans la durée des
exclusivités. Dans plusieurs affaires, les autorités de concurrence ont
pu insister sur la nécessité d'encadrer cette donnée temporelle. La
Commission européenne a ainsi souligné que « la durée du contrat
peut constituer une restriction potentielle lorsqu'elle excède ce qui
est nécessaire pour l'industrie, c'est-à-dire si elle est disproportionnée.
En effet, une durée d'exclusivité excessive ou une exclusivité
attachée au contenu et non à l'existence des droits peut entraîner un
cloisonnement du marché » (19)
. La Commission s'est toutefois logiquement
refusée à fixer une durée « type », afin de tenir compte
de la spécificité de chaque marché. Des tendances se sont cependant
dessinées au fil des contentieux. Ainsi, dans sa décision d'engagements
de 2005 concernant la Bundesliga, l'autorité bruxelloise a
entériné des engagements dans lesquels la durée des exclusivités
ne dépassait pas 3 ans. Les clauses de préemption et autres techniques
permettant, de fait, de prolonger les durées d'exclusivité,
en contournement de ces exigences de durée sont également bannies
(20)
. Dans son avis de 2004 relatif à l'adoption du décret formant
aujourd'hui le socle des règles introduites dans le Code du sport, le
Conseil de la concurrence avait considéré qu'une durée de 3 ans était
satisfaisante (21)
, tout en reconnaissant en 2007 qu'il n'existait pas de
standard en la matière (22)
. Une limite à 4 ans a ensuite été fixée et il
est donc aujourd'hui question de repousser celle-ci à 5 ans.
Dans un contexte inflationniste, où le « milliard » est affiché comme
une cible essentielle par le président de la LFP, ce passage de 4 à
5 ans permettrait aux attributaires des lots de mieux amortir et
rentabiliser leurs investissements. Du côté du ministère des Sports,
l'idée est globalement la même : « Un allongement de la durée d'exploitation
des droits à cinq ans est de nature à favoriser l'entrée de
nouveaux opérateurs sur le marché et donc une dynamique concurrentielle
plus forte à l'achat, permettant d'augmenter la valeur des
droits et, partant, de contribuer au financement de l'écosystème du
football professionnel et amateur en assurant une meilleure rémunération
des clubs et, plus largement, du sport français, notamment
via le mécanisme de solidarité de la taxe Buffet » (23)
. En France, cette
« taxe » permet qu'une partie des montants obtenus par les clubs
soient reversés pour le monde amateur. Les arguments du gouvernement
se situent donc presque dans la lignée de l'intérêt général : plus
longtemps, pour plus d'argent au monde amateur et aussi, plus de
concurrence, puisque l'allongement permettrait l'entrée de nouveaux
opérateurs (au moment où Canal Plus annonce ne plus vouloir soumissionner...).
Des arguments similaires avaient été avancés à la fin
de l'année 2021, dans un rapport d'information parlementaire adopté
juste après l'épisode de la crise du Covid : « Sécurisation pour l'acheteur
des droits » et « acteur d'émulation de la concurrence puisque ce
temps d'amortissement plus long est d'autant plus nécessaire pour
un nouvel acteur entrant qui doit ajouter à son prix d'investissement
un coût de pénétration de ce nouveau marché pour lui » (24)
. Le rapport
avait l'honnêteté de reconnaître que cette demande émanait
surtout de la LFP et de certains présidents de clubs, en rappelant que,
outre-Manche, avec un produit largement plus valorisé, la Premier
League faisait le choix de contrats d'une durée de 3 ans (notamment
pour pouvoir mieux « actualiser » le produit). C'est dire que, dans un
tel contexte, l'expertise de l'Autorité de la concurrence était nécessaire
et attendue.
L'avis rendu par l'Autorité de la concurrence le 26 juillet 2023 s'avère
décevant. Cela est dû, en grande partie, à la faiblesse des arguments
présentés par les parties intéressées qui ont été entendues.
L'Autorité note ainsi « qu'il doit être relevé qu'aucune étude précise
et quantifiée n'a pu être fournie par le ministère des Sports ou la LFP
s'agissant des effets, sur les marchés, d'un allongement à 5 ans de la
durée des contrats. Il en est de même s'agissant des effets de l'allongement
de la durée des contrats de 3 à 4 ans, à la suite de l'adoption
du décret n° 2007-1676 du 28 novembre 2007 » (25)
. À plusieurs
(16) Cons. conc., avis n° 04-A-09, 28 mai 2004, pt 88.
(17) Cons. conc., avis n° 04-A-09, 28 mai 2004, pt 29.
(18) Cons. conc., avis n° 04-A-09, 28 mai 2004, pt 39.
(19) Cons. conc., avis n° 04-A-09, 28 mai 2004, pt 40.
(20) V. art. 2.3 des engagements, annexés à la décision : « Les responsables de la
vente de droits et formes d'exploitation font en sorte que les contrats d'exploitation
soient limités à trois saisons au maximum. Ils veillent également à cet égard à ce
que les négociations pour les saisons suivantes ne soient pas restreintes par des
options, droits de préemption, etc. Les clubs et sociétés des première et deuxième
divisions garantissent en outre que leurs contrats ne dépassent pas la durée des
contrats d'exploitation centralisée ».
(21) Cons. conc., avis n° 04-A-09, 28 mai 2004, pt 96.
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reprises, l'Autorité souligne également que l'instruction a singulièrement
manqué d'éléments dans un sens ou un autre. La question de
l'allongement de la durée des droits et leurs effets est donc examinée
sous l'angle « théorique », pour reprendre les termes de l'Autorité,
comme si elle cherchait par avance à se dédouaner pour des contentieux
ultérieurs. Le sujet est, en effet, particulièrement sensible et il
existe aujourd'hui un certain nombre de critiques dans la littérature
(22) Cons. conc., avis n° 07-A-15, 9 nov. 2007, portant sur le projet de décret modifiant
le décret n° 2004-699, relatif à la commercialisation par les ligues professionnelles
des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations
sportives.
(23) Aut. conc., avis n° 23-A-12, 26 juill. 2023, pt 18.
(24) AN, rapp. n° 4815, 15 déc. 2021, en conclusion des travaux de la mission sur
les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives, par C. Roussel.
(25) Aut. conc., avis n° 23-A-12, 26 juill. 2023, pt 35.

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