Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°1-2023 - 110

CASE LAW
C) Effet de l'arrêt London Steam-Ship sur l'attitude des tribunaux
arbitraux et la reconnaissance de leurs sentences
28. En dehors du cas particulier de l'action directe, qui donne l'occasion à la
Cour de justice de formuler une de ses critiques, la généralité des hypothèses de
saisines parallèles d'un juge européen et d'un arbitre à propos d'un même litige est
impactée par l'introduction d'un principe de litispendance, source de la seconde
critique, dans les rapports entre justice étatique et justice arbitrale.
La Cour ne dit pas expressément si la date à considérer, du côté de l'arbitrage,
est celle de la saisine du tribunal arbitral ou celle d'un tribunal étatique du siège
de l'arbitrage. Toutefois, la lecture des points 64 à 69 de l'arrêt donne à penser
que c'est la date d'introduction de l'arbitrage qui est à comparer avec la date
d'introduction de l'instance judiciaire.
Il faut envisager les deux hypothèses qui sont fonction de l'ordre des deux
saisines.
29. 1°) Lorsqu'un tribunal arbitral est saisi alors qu'une instance judiciaire est
déjà pendante à l'étranger, que peut-il raisonnablement faire s'il connaît l'arrêt
London Steam-Ship ? En matière internationale, un arbitre est absolument libre
de déterminer lui-même s'il est compétent, et s'il estime l'être il n'accueillera
pas non plus une exception de litispendance qui ne repose sur aucun texte
qui le lie, et qui au surplus bénéficierait à un tribunal étatique par hypothèse
incompétent à ses yeux. Certes, il lui faudra envisager l'annulation de sa sentence
par le tribunal étatique du siège, respectueux de l'arrêt London Steam-Ship ; de
plus il saura que sa sentence, qui n'est pas une décision au sens de l'article 32
du Règlement Bruxelles I, ne pourra pas faire obstacle à la reconnaissance du
jugement étranger lorsqu'il sera rendu. En revanche, paradoxalement, sa sentence
pourra être reconnue dans tous les États membres parties à la Convention de New
York de 1958 qui, comme l'a confirmé l'alinéa 3, 2e
Règlement Bruxelles I refondu, « prime sur [ledit] Règlement 11
phrase, du considérant 12 du
». Elle pourra aussi
être reconnue en dehors de l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, le tribunal,
dès lors qu'il s'estime compétent, peut difficilement mettre fin à l'instance ou
même la suspendre.
Afin d'éviter ces complications, les parties, au moment d'insérer dans leur
contrat une clause compromissoire, préféreront peut-être choisir un siège hors de
l'Union européenne. L'arbitrage est une activité économique qui enrichit l'Europe,
mais cette préoccupation est étrangère à la Cour de justice.
30. 2°) Dans l'hypothèse inverse, c'est le tribunal étatique, saisi en second, qui
devra, en application de l'article 27 du Règlement adapté par la Cour à l'arbitrage,
surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal arbitral se soit rendu compétent, puis
se dessaisir. Une sentence sera donc rendue qui pourra être reconnue, recopiée
ou au contraire annulée par les juridictions du siège. La Cour ne s'est pas penchée
sur cette hypothèse, mais la logique de son raisonnement - la litispendance doit
pouvoir jouer dans les deux sens - conduit à cette solution.
11. Toutefois si les juridictions du siège ont annulé la sentence, l'article V.1.e de la Convention
de New York autorise l'État requis à refuser la reconnaissance, et telle est l'attitude adoptée dans la
plupart des pays de l'Union.
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The Paris Journal of International Arbitration 2023‑1

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