Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°1-2023 - 149

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
La société Armamenti souhaitait étendre cette notion d'inconciliabilité à des
décisions statuant différemment sur la recevabilité de demandes et invoquait, à
cet effet, une sentence partielle rendue dans une affaire très similaire, car portant
sur les contrats conclus par Fincantieri et Finmeccanica avec le Ministère de la
Défense irakien pour la fourniture des frégates porte-missiles et corvettes portehélicoptères,
celles-là même qui avaient vocation à accueillir les hélicoptères
vendus par Agusta.
Le contrat en question avait été affecté par les mesures d'embargo de 1990 et
une procédure d'arbitrage avait été introduite par le gouvernement irakien et avait
débouché sur une sentence partielle du 18 juin 2006, jugeant que les demandes
irakiennes étaient susceptibles d'arbitrage mais n'étaient pas recevables du fait des
mesures d'embargo. Le recours contre cette sentence ayant été rejetée par la cour
d'appel le 16 janvier 2018 20
arrêt du 15 janvier 2020 21
, ainsi que le pourvoi contre l'arrêt d'appel par un
, la sentence bénéficiait de l'exequatur en France.
La société Armamenti invoquait l'inconciliabilité entre la sentence Fincantieri,
jugeant irrecevable les demandes du gouvernement irakien du fait des mesures
d'embargo, déjà revêtue de l'exequatur en France, avec la sentence partielle
critiquée, qui jugeait au contraire que les demandes irakiennes étaient recevables.
On note d'abord que la cour d'appel de Paris n'a pas écarté l'argument au
motif de la disparité de parties.
Il est vrai que « [l]'inconciliabilité se caractérise, en effet, par une incompatibilité
des effets juridiques des décisions, laquelle est concevable malgré une disparité de
parties, d'objet ou de cause entre les demandes » 22
.
. Néanmoins, la situation de
contrariété de décisions suppose le plus souvent l'identité de parties, qui est d'ailleurs
l'une des conditions de l'inconciliabilité dans le Règlement Bruxelles I bis 23
On aurait tendance à penser que le fait que deux tribunaux arbitraux atteignent
des conclusions différentes concernant des demandes portant sur deux contrats
différents (et donc sur des situations factuelles distinctes) ne constitue pas une
inconciliabilité. En effet, l'exécution simultanée, par exemple, d'une sentence
condamnant Armamenti et d'une sentence rejetant les demandes visant Fincantieri
n'aurait pas été impossible.
Assiste-t-on ici à une extension du domaine de l'inconciliabilité pour inclure
les situations où deux juges se prononcent sur des demandes similaires concernant
des contrats et des parties différentes ? Ce serait une évolution importante mais
toutefois regrettable.
Heureusement, la cour d'appel écarte tout de même l'argument au motif que
« la seule divergence d'appréciation juridique sur la recevabilité d'une demande ne
peut suffire à caractériser une inconciliabilité des décisions de nature à emporter
des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement, et ce alors que la
20. Paris, 16 janvier 2018, n° 16/05996, Rev. arb. 2018, p. 296.
21. Cass. 1re
civ., 15 janvier 2020, n° 18-18.088 ; Rev. arb. 2020, p. 783, note L. FrancMenget
; Gaz. Pal. 9 mars 2021, note D. Bensaude ; D. 2020. 2484, obs. Th Clay ; D. 2020. 1970,
obs. L. d'Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Rev. crit. DIP 2020. 526, note L. d'Avout.
22. M.-L. Niboyet, « Inconciliabilité d'une sentence avec un jugement étranger exequaturé »,
note sous Paris, Pôle 1 - Ch. 1, 17 janvier 2012, Rev. arb. 2012, p. 573.
23. Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière
civile et commerciale (refonte), Article 45.
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