Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 103

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
sommes d'argent ». Elle récuse enfin les arguments de la Malaisie, en soulignant
notamment que « le détournement de procédure [...] présuppose un examen au
fond de la régularité de constitution du tribunal arbitral » et que le « manquement
au principe de loyauté procédurale lequel, à le supposer admis, ne constitue
pas un motif d'irrecevabilité de la demande dès lors qu'il ne remet pas en cause
le droit d'agir des consorts Kiram, par ailleurs caractérisé ainsi qu'il résulte des
développements qui précèdent ».
La solution n'est pas étonnante. Elle est conforme à ce qui est habituellement
jugé, tant en matière de sentences arbitrales 39
C'est l'idée d'un exequatur « à toutes fins utiles » qui est retenue 41
que de jugements étrangers 40
. La question
.
qui se pose désormais est celle de savoir si l'intérêt à agir est irréfragablement
présumé pour toute partie à l'arbitrage 42
ou si, indépendamment de toute mesure
d'exécution, il convient tout de même d'établir l'existence d'un tel intérêt. À dire
vrai, cet aspect reste incertain. Une partie de la doctrine considère que la solution
se justifie par la possible apparition future de biens sur le sol français 43
. Si telle
est la logique poursuivie, encore faut-il que la partie soit désignée créancière par
la sentence. Dans l'arrêt en commentaire, la cour d'appel s'attache d'ailleurs à
identifier une condamnation pécuniaire figurant dans la sentence. Elle caractérise
l'intérêt à agir des citoyens philippins, en soulignant que la sentence a « condamné
l'État de Malaisie à leur payer des sommes d'argent ». De ce point de vue, c'est
une exécution forcée, présente ou future, qui est à l'origine de l'intérêt à agir
d'une partie, imposant ainsi la preuve d'une créance. Autrement dit, l'intérêt ne
découlerait pas de la qualité.
Faut-il, en déduire une exigence impérative de l'existence d'une créance au
profit du demandeur à l'exequatur, à défaut de laquelle il serait dépourvu d'intérêt
à agir ? Sur cette question, on peut penser que la situation n'est pas parfaitement
identique entre les jugements étrangers et les sentences arbitrales. Comme le
souligne la cour, la demande ne vise pas toujours à l'exequatur, mais aussi à la
reconnaissance de la sentence, le titre du Chapitre III et la lettre de l'article 1514
du Code de procédure civile ne laissant aucun doute sur la double fonction de
ce dispositif. Son incise selon laquelle l'exequatur ne dépend pas non plus du
« sens de la décision » va dans le même sens. Ainsi, la demande formée devant
le tribunal judiciaire est possiblement indépendante de l'exécution forcée d'une
quelconque condamnation pécuniaire et peut viser la seule reconnaissance de
la sentence. C'est là une différence notable avec les jugements, qui bénéficient
dans de nombreuses hypothèses d'une reconnaissance de plano 44
. Dans cette
logique, même une partie « perdante » peut avoir intérêt à la reconnaissance d'une
39. Paris, 15 janv. 2013, n° 11/08143, JCP 2013. 1349, obs. J. Ortscheidt ; Cass. 1re
2016, n° 15-13.151.
40. Cass. 1re
civ., 25 mai
civ., 26 juin 2019, n° 17-19.240, Rev. arb., 2020.762, note E. Loquin ; Rev. crit.
DIP, 2020.295, note F. Marchadier ; JDI, 2020.801, note K. Mehtiyeva ; JDI 2020, comm. 20, note
V. Parisot ; JCP G 2019, act. 916, note A. Danet ; D. 2019. 1965, obs. S. Bollée ; D. 2020. 964,
obs. F. Jault-Seseke.
41. V. M. Barba, « Exécution des jugements et actes étrangers », J. Cl. Dr. int., Fasc. 10.
42. Par une forme d'absorption de l'intérêt à agir par la qualité à agir : V. Parisot, note s/s Cass.
1re
civ., 26 juin 2019, JDI 2020, comm. 20.
43. Par ex., A. Danet, note s/s Cass. 1re
civ., 26 juin 2019, JCP G 2019, act. 916.
44. V. M. Barba, « Exécution des jugements et actes étrangers », J. Cl. Dr. int., Fasc. 10, n° 101 et s.
Les Cahiers de l'Arbitrage 2023‑3
593
Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023

Table des matières de la publication Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023
