Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 105

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
parties « seule investit l'arbitre de son pouvoir juridictionnel ». Elle vise ensuite
deux nouveaux principes, celui d'interprétation de bonne foi des conventions et
celui d'effet utile 48
.
Une fois ces rappels réalisés, la cour se réfère implicitement aux critères
de l'arbitrage, en particulier ceux mis en lumière par Charles Jarrosson dans sa
thèse de doctorat. À cette occasion, l'arbitrage a été défini comme « l'institution
par laquelle un tiers règle le différend qui oppose deux ou plusieurs parties, en
exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles-ci » 49
. Cette
définition repose sur plusieurs idées-forces. L'arbitrage est une justice privée,
où le règlement d'un litige est confié conventionnellement à un tiers qui exerce
une mission juridictionnelle. C'est précisément ces critères que la cour recherche
pour forger sa conviction. Elle s'assure que la convention d'arbitrage vise bien
la résolution d'une contestation, malgré les différentes traductions proposées
(différend, grief, litige). Elle valide également le renvoi à un tiers, en l'espèce le
consul général de la couronne britannique à Brunei. Pour entériner ce point, la
cour constate que ni cette fonction ni la couronne britannique ne sont parties
au contrat, quand bien même le titulaire de la fonction de consul général avait
signé la convention comme témoin. Elle note encore que le consul n'est pas une
juridiction nationale.
Enfin, la clé du raisonnement repose sur la mission confiée au tiers. La
difficulté est double. D'une part, la notion d'arbitrage n'est pas visée par la
clause. D'autre part, les traductions sont divergentes et révèlent des volontés très
différentes. Ainsi, certaines usent des termes « décision » ou « jugement », ce qui
invite à y voir une mission juridictionnelle ; d'autres usent des mots « examen et
avis » ou « connaissance et considération », ce qui rend beaucoup plus contestable
la caractérisation juridictionnelle de cette mission. Face à ces divergences de
traduction qui conduisent à des conclusions opposées, la cour se laisse convaincre
par une pièce extérieure au contrat - un courrier rédigé par un témoin de la
négociation, le consul général de Bornéo de l'époque - qui conduit à retenir le
caractère juridictionnel de la mission confiée. La cour en conclut que la stipulation
litigieuse est bien une clause compromissoire.
Le raisonnement de la cour est parfaitement convaincant. L'effort de méthode
consistant à caractériser un à un les critères de l'arbitrage est louable. La cour ne
se laisse pas non plus impressionner par l'absence du mot arbitrage ou l'ancienneté
de la clause. L'arbitrage, s'il est un mode de résolution des différends qui s'est
considérablement développé à l'époque moderne, est ancien et était déjà utilisé
au 19e
siècle 50
des parties.
48. Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777, BZ Grains, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. JourdanMarques
et Paris, 4 avr. 2023, n° 22/00408, Jan de Nul, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. JourdanMarques
; v. égal. : Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, Imagine, Dalloz actualité, 11 septembre 2023,
obs. J. Jourdan-Marques.
49. Ch. Jarrosson, La notion d'arbitrage, préf. B. Oppetit, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit
privé », 1987, n° 785.
50. Pour un arbitrage contemporain : B. de Loynes de Fumichon et W. Park, « Retour sur
l'affaire de l'Alabama : de l'utilité de l'histoire pour l'arbitrage international », Rev. arb. 2019. 747 ;
v. égal. D. Mainguy, note s/s l'arrêt, qui cite l'exemple du Canal de Suez arbitré par Napoléon III.
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. Il n'y avait donc aucune raison de ne pas reconnaître cette volonté
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