Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 30

ARTICLES - DEBATES
Arendt, l'amitié est donc constitutive du fait politique pour la raison qu'elle rime
avec dialogue, lequel est le meilleur moyen de résoudre les conflits 52
. L'idée
que l'amitié provoque l'échange pour le bien commun se retrouvait chez Kant
lorsqu'il estime que l'amitié doit se comprendre comme un lien à bonne distance
de l'autre, qui s'exerce en confiance dans l'échange dépassionné des sentiments
et des idées 53
. C'est bien l'erreur de
. Arendt oppose l'amitié privée et l'amitié publique. Elle critique
la vision commune de l'amitié qui la réduit à un « phénomène de l'intimité, où
les amis s'ouvrent leur âme, sans tenir compte du monde et de ses exigences »,
sans comprendre l'importance politique de l'amitié 54
la Cour d'appel dans l'arrêt commenté d'avoir limité sa vision de l'amitié à
cette vision commune (voir n. 40 ci-avant). La politique repose sur la pluralité
humaine, où l'amitié sert de lien. Arendt rappelle que pour les Grecs, « l'essence
de l'amitié consistait dans le discours », seul un « " parler ensemble " constant
unissait les citoyens en une polis » (ibid.), et de conclure : « Car le monde n'est
pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain
parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet
de dialogue » (ibid.).
65. En provoquant le dialogue, l'amitié nourrit la pensée qui conditionne
l'indépendance d'esprit. Comme le relève Nietzche, « Je et Moi sont toujours en
conversation trop assidue : comment supporterait-on cela s'il n'y avait pas un
ami » 55
. Ainsi, l'amitié contribue-t-elle au dialogue (la dialectique aristotélicienne)
et donc à la délibération nécessaire à la justice 56
de penser mais de penser en compagnie des autres 57
. Celle-ci suppose non seulement
.
66. Nous avons vu que le corps arbitral constitue un organisme social
particulier regroupant des arbitres et des conseils dont les fonctions sont
interchangeables. Tous les acteurs constituant ce corps arbitral « chassent » le
même bien, qui est de contribuer à ce qu'ils considèrent être la meilleure forme
de justice pour les litiges dont ils ont à connaître. L'amitié arbitrale qui lie ces
acteurs et permet la cohésion du corps arbitral par la confiance qu'elle génère, est
également source du dialogue qui caractérise la justice arbitrale et que la justice
étatique peine à maintenir. En paraphrasant Arendt, nous pourrions écrire que
la société arbitrale n'est pas arbitrale par le simple fait qu'elle est constituée
d'arbitragistes et que leurs voix y résonnent, mais par le fait qu'elle est devenue
objet de dialogue entre les acteurs qui la composent par l'amitié arbitrale qui
les lie. L'amitié arbitrale permet ce penser par soi-même ou ce penser partagé
indispensables à la jurisdictio (la recherche du juste). En ce qu'elle provoque le
dialogue, l'amitié arbitrale conditionne l'indépendance d'esprit chez les arbitres,
52. Le Point Références, L'amitié, Les grands textes, 2023, p. 78.
53. M. Fisson, « Emmanuel Kant, Un équilibre entre amour et respect », in Le Point Références,
L'amitié, Les grands textes, 2023, p. 70 ; E. Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, T. II,
Doctrine de la vertu.
54. Vies politiques, cit.
55. F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, NRF, Les Essais, Gallimard ; adde, G. Tonning,
« Friedrich Nietzsche, L'école de la vérité sur soi », in Le Point Références, L'amitié, Les grands
textes, 2023, p. 72.
56. M. Henry, « La place de l'arbitre », Mélanges P. Mayer, LGDJ, 2015, p. 283 et s., spéc.
p. 288, n. 14.
57. Ibid.
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The Paris Journal of International Arbitration 2023‑3
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