Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 38

ARTICLES - DEBATES
circonstance objectivement discriminante. Il faut encore que subjectivement, dans
l'esprit des parties, elle ait pu provoquer un doute légitime.
84. Dans l'affaire commentée, si la circonstance de voyages communs, le
plaisir à écouter les plaidoiries du défunt, les échanges éventuellement intervenus
sur des choix de carrière universitaire, la participation au jury de thèse de l'arbitre
constituaient des circonstances objectivement discriminantes, il nous semble que
ces mêmes circonstances ne pouvaient pas, subjectivement, provoquer dans l'esprit
des parties des doutes légitimes sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre.
De tels doutes nous paraissaient d'autant moins caractérisables en l'espèce que
la subjectivité du défaut d'indépendance et d'impartialité doit s'apprécier non
seulement dans la personne de la partie recourante mais également dans la
personne de l'arbitre. Il faut donc se demander si les circonstances litigieuses
étaient subjectivement de nature à affecter la liberté de jugement de l'arbitre. Or, là
encore, il nous semble déraisonnable de penser que ces circonstances étaient de
nature à affecter la liberté de jugement de l'arbitre.
85. En réalité, les circonstances litigieuses prises isolément ou cumulativement
ne faisaient que refléter le dialogue qui, comme relevé plus haut (voir n. 64 et
s.), nourrit l'amitié arbitrale. Or, ce dialogue, bien loin d'affecter l'indépendance
ou l'impartialité du corps arbitral et de ses membres, conditionne leur
indépendance. La dialectique doctrinale, l'échange de vues entre membres de la
communauté arbitrale permet aux membres du corps arbitral de confronter leurs
idées et éventuellement leurs préjugés pour mieux les dépasser, ce qui est la
meilleure garantie d'indépendance et d'impartialité. Quand ce dialogue ou cette
dialectique aboutissent à créer entre membres de la communauté arbitrale des
« liens personnels », ces liens n'ont pas pour effet de corrompre le dialogue ou
la dialectique. Il suffit de participer aux colloques ou de lire la doctrine pour
constater que ces liens ne préjudicient en rien à la liberté de pensée et donc
de jugement de ces personnes. Tel était le cas de l'arbitre et du conseil défunt,
d'autant plus qu'ils étaient tous deux professeurs d'université spécialisés en
arbitrage, ce qui les amenait à se côtoyer souvent, échanger souvent, voyager
ensemble régulièrement et tout cela dans le meilleur intérêt du corps arbitral et de
son indépendance de pensée et de jugement. Les « liens personnels » de l'arbitre
et du conseil n'étaient donc que le reflet de l'amitié arbitrale nourrissant le corps
arbitral et propre à garantir l'harmonie autant que l'indépendance de ce corps
comme de ses membres.
86. En ce sens, le Tribunal Fédéral suisse relève à juste titre que : « Il faut (...)
tenir compte du contexte différent des relations entre un juge d'un tribunal étatique
ou un arbitre, d'une part, et les parties, respectivement leurs avocats, d'autre part.
Ces rapports sont plus fréquents et impliqués par les nécessités économiques ou
professionnelles, en ce qui concerne les personnes actives dans le domaine de
l'arbitrage privé, de sorte qu'ils ne doivent pas sans autre être considérés comme
un motif de récusation (...). Il a même été jugé qu'un rapport amical (tutoiement
et recommandations mutuelles) entre un arbitre et l'avocat d'une des parties ne
suffisait pas en principe, à fonder un motif de récusation (...) », et d'ajouter que
« les rencontres sont fréquentes dans le cercle restreint de l'arbitrage international ;
il n'est pas rare (...) que la même personne soit à une occasion arbitre dans une
affaire déterminée, et une autre fois conseil d'une partie dans une autre affaire,
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The Paris Journal of International Arbitration 2023‑3
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