Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 58

SORBONNE ARBITRAGE, 28 MARS 2023 (PARIS ARBITRATION WEEK)
On a, en effet, beaucoup évoqué la jurisprudence européenne en matière
d'investissement mais, s'agissant du droit de l'arbitrage commercial, à l'exception
de quelques spécialistes ici présents d'ailleurs - dont le Professeur Clay qui, dans
son panorama, a écrit des propos auxquels je souscris entièrement -, la portée de
cet arrêt qui peut être vertigineuse, n'a pas marqué autant que l'on aurait pu s'y
attendre.
Pour appréhender cette décision, il y a une espèce de « ticket d'entrée », pour
reprendre une expression que tu as employée, Sylvain. Comprendre ce dont il est
question précisément importe de revenir sur certains éléments procéduraux, dans
la mesure où la problématique n'est pas aussi directement accessible que celle à la
base de la jurisprudence Achmea. Mon premier devoir est donc d'offrir ce « ticket
d'entrée ».
2002, naufrage d'un pétrolier qui portait mal son nom : le Prestige. Naufrage
qui va créer des dommages terribles, essentiellement en Espagne mais en France
également. L'Espagne agit - je n'entre pas dans le détail, au pénal et au civil. Une
action directe est ainsi exercée en Espagne contre l'assureur du bateau, London
Steamship. Dans le contrat entre l'assureur et les propriétaires, figurait pourtant
une clause compromissoire. En dépit de celle-ci, une action au civil est donc
introduite contre l'assureur, en 2002.
En 2012, London Steamship engage alors un arbitrage à Londres et y soutient
en substance : « Cette action directe contre moi, assureur, vous auriez dû l'exercer
dans le cadre d'un arbitrage, conformément à toute une série de règles, et ce à
Londres ».
Le tribunal arbitral va inviter l'Espagne à participer à la procédure, ce que
celle-ci ne fera pas. Le but de l'assureur est, entre autres - je n'ai pas le temps de
développer l'ensemble de ce qui a été demandé, d'obtenir une déclaration suivant
laquelle l'action directe de l'Espagne contre l'assureur aurait dû être portée en
arbitrage.
Résultat : le tribunal arbitral, en 2013, donne raison à l'assureur : le litige
relevait de l'arbitrage.
La High Court of Justice, la même année, autorise l'exécution de la sentence.
Particularité du droit anglais - peut être aurons-nous l'occasion d'y revenir dans
le cadre de la discussion quant à la question de savoir si cette particularité a une
incidence ou non - il ne s'agit pas simplement d'un exequatur mais de reprendre,
dans la décision étatique, les termes de la sentence.
Les procédures en Espagne suivent par ailleurs leur cours. En 2019, une
ordonnance de la Cour provinciale de La Corogne retient notamment - je me
limite à ce point - la responsabilité de l'assureur.
Dans le cadre d'une procédure ex parte, la même année, la High Court of
Justice de Londres reconnaît cette ordonnance espagnole. À ce moment, l'assureur
forme appel afin de tenter d'empêcher la décision espagnole de rentrer dans l'ordre
juridique anglais, ceci, fondamentalement, sur la base, à l'époque, de l'article 34.3°
du Règlement Bruxelles I (devenu depuis l'article 45. 1° c) Bruxelles I bis), pour
inconciliabilité avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État
membre requis. Une objection est également tirée du caractère manifestement
contraire à l'ordre public que constituerait le fait de reconnaître cette décision
espagnole en Angleterre.
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The Paris Journal of International Arbitration 2023‑3
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