Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 75

SPÉCIAL COLLOQUE « PARIS, PLACE D'ARBITRAGE ? »
Je suis d'accord pour essayer d'être créative - et je crois qu'il faut essayer de
l'être - mais pas au détriment de trop de principes.
Carine Dupeyron. Merci à tous les deux.
Troisième thème de notre panel : la question de la méthodologie probatoire
utilisée aujourd'hui par la cour d'appel pour justement établir ces violations de
l'ordre public international. Jean-Baptiste, si tu peux nous éclairer sur l'état de la
jurisprudence là-dessus ?
3°- La méthodologie probatoire
Jean-Baptiste Racine. Si le juge de l'annulation procède à un contrôle total en
droit et en fait, par définition, il aborde les faits. Il faut donc les prouver.
Cette question s'est essentiellement posée en matière de corruption avec
notamment les arrêts Alstom 15
et Sorelec : comment établir s'il y avait ou pas
corruption, ou trafic d'influence ou éventuellement blanchiment d'argent ?
Comme vous le savez, en pratique, il est rare que des faits de corruption puissent
être établis formellement, sachant que les parties n'ont pas toujours intérêt, ni l'une
ni l'autre, à apporter la preuve de faits qui peuvent se retourner contre elles.
C'est pourquoi il existe en la matière une méthode maintenant fort connue,
à savoir la méthode des « drapeaux rouges », des red flags qui, traduits en droit
français, reviennent à parler d'indices graves, précis et concordants. C'est la
méthode du faisceau d'indices.
Ce qui veut dire que si l'on applique cette méthode, le juge ou l'arbitre peut
être convaincu d'une forte probabilité d'existence d'une pratique de corruption,
sans pour autant que sa preuve soit établie formellement. Cette conviction peut
découler d'un faisceau d'indices convergents qui mène à une forte probabilité qu'il
existe une pratique de corruption. Par exemple, le fait que le pays dans lequel le
contrat s'est exécuté est notoirement connu pour des pratiques généralisées de
corruption ; le fait qu'il n'y ait pas eu de rapports réguliers et écrits de la part de
l'intermédiaire ; le fait qu'il y ait un taux de commission particulièrement élevé ;
le fait qu'il n'y ait pas eu d'appel d'offres public, etc. Ce n'est pas un seul mais
plusieurs indices qui convergent vers l'hypothèse hautement probable qu'il y a eu
corruption.
Cette méthode est utilisée par la cour d'appel de Paris en matière de blanchiment
d'argent et de corruption. Cela a été le cas dans l'affaire Alstom et dans l'affaire
Santullo. Ceci peut cependant éventuellement conduire à des censures. Rappelons
quand même que dans l'affaire Alstom, l'arrêt de la cour d'appel a été cassé
pour dénaturation d'un transcript d'une audition de témoin. En faisant cela, la
cour d'appel s'expose à une censure de la Cour de cassation, notamment pour
dénaturation.
Mais je dirais que la méthode du faisceau d'indices, qui est utilisée par la cour
d'appel, rejoint la méthode qui est utilisée par des arbitres. Il y a une convergence,
15. Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Rev. arb., 2019.850, note E. Gaillard ; Cah. arb., 2020,
n° 2, p. 289, note L.-Ch. Delanoy et R. Dethomas ; JDI, 2020, p. 667 ; Gaz. Pal., 2 juill. 2019, p. 22,
obs. D. Bensaude.
Les Cahiers de l'Arbitrage 2023‑3
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