Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°3 - 2023 - 94

CASE LAW
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. L'enjeu dépasse la sphère juridique et touche à la diplomatie et à
l'économie. La raison est simple : le montant en jeu s'élève à près de 15 milliards
de dollars et le litige intéresse la souveraineté de la Malaisie.
À l'origine de cette extraordinaire affaire, on trouve un contrat conclu en 1878
entre le Sultan de Sulu de l'époque, Jamalul Alam Kiram (ou Muhammad Jamal
Al Alam) et deux personnes privées, M. Alfred Dent et le Baron Gustavus Von
Overbeck. Par ce contrat, le premier cédait aux seconds un certain nombre de
droits et obligations sur ses territoires de Bornéo du Nord en contrepartie d'une
certaine somme d'argent. La qualification de ce contrat constitue l'un des nœuds
du litige.
Naturellement, les parties au contrat sont aujourd'hui décédées. Pour le Sultan
de Sulu, huit citoyens philippins se présentent comme ses successeurs. Pour Alfred
Dent et le Baron Gustavus Von Overbeck, la British North Borneo Company est
initialement venue aux droits des signataires originels, puis elle a été subrogée par
la Grande-Bretagne et enfin la Malaisie a succédé aux droits dans ce contrat à la
suite de son indépendance.
Pendant des décennies, la Malaisie a continué à verser la somme fixée par le
contrat aux héritiers, qui avait été réévalué à l'occasion d'un acte de confirmation
à la somme de 5 300 ringgits - soit environ 1 000 euros. Pourtant, en 2013, un
autoproclamé Sultan de Sulu a tenté d'envahir militairement le Sabah - actuel
État de la Malaisie à Bornéo Nord - avec pour objectif de reprendre ce territoire.
Depuis, la Malaisie a cessé de payer le prix prévu par l'accord. Ainsi, les huit
citoyens philippins reprochent à la Malaisie de ne plus exécuter l'accord de 1878.
Au fond, l'imbroglio juridique et diplomatique porte sur la nature de l'accord.
Pour les huit citoyens philippins, il s'agit d'un « banal » contrat commercial.
Pour eux, la cessation des paiements équivaut à une inexécution contractuelle
dont ils peuvent demander réparation. Pour la Malaisie en revanche, l'accord de
1878 est un accord de cession de territoires et de souveraineté. Ce problème de
qualification est doublé d'un problème linguistique. Le contrat est rédigé en malais
en écriture jawi (alphabet arabe alors utilisé pour l'écriture du malais), ce qui rend
sa compréhension délicate.
Comment résoudre le litige ? Le contrat comporte une clause - qui fait l'objet
d'au moins six traductions divergentes - mais qui prévoit, si l'on nous autorise une
simplification au stade du rappel des faits, que les « différends résultant de l'accord
seront tranchés par le Consul général de Bornéo ».
Sur le fondement de cette clause, les huit citoyens philippins ont tenté d'obtenir
la désignation d'un arbitre. Puisque le poste de Consul général britannique à
Bornéo n'existe plus, ils se sont d'abord tournés vers le Ministère des Affaires
étrangères britannique. Face au refus de désignation, ils ont opté ensuite pour les
juridictions espagnoles, qui, malgré le défaut de comparution de la Malaisie, ont
accepté de désigner l'arbitre unique.
Fort de cette désignation, la procédure arbitrale a pu commencer. Là encore, la
Malaisie n'a pas comparu, quand bien même elle a adressé quelques courriers de
contestation à l'arbitre. Le 25 mai 2020, une sentence partielle sur la compétence
3. J. Bouissou, « Entre la Malaisie et les descendants d'un sultan de Bornéo, un litige
rocambolesque à 15 milliards de dollars », Le Monde, 1er
juin 2023.
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