Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 133

Le thème
et celui qui est devant. [...] Tous [les hommes politiques et les partis] ils appartiennent au même
grand et unique parti, qui est celui de ceux qui sont de l'autre côté du guichet, du bon côté, selon
eux. Tous ils appartiennent au grand et seul parti de la bureaucratie » (p. 274-275).
Dans l'administration au sens large, les nominations ne sont guère dues au mérite : « Un jeune
qui veut devenir député, ministre, gendre, conseiller d'État, ou même obtenir à bon compte une
chaire de l'enseignement supérieur, sait comment s'y prendre. Il sait quelles avances il faut faire,
quels gages il faut donner, quelles promesses faire, quelles promesses au contraire tenir, quelles
paroles tenir et quelles paroles violer, quels serments prêter et quels serments trahir » (p. 264). Plus
loin, Péguy insiste, en ce qui concerne l'enseignement universitaire : lorsque l'on veut « démolir
un enseignement qui a cessé de plaire », les moyens ne manquent pas, « il y a un heureux choix
des titulaires, une conduite particulière d'avancement. Il y a le népotisme, il y a le socérisme18
.
[...] le choix scandaleux de certains candidats pour titulaires, une préférence marquée, renouvelée,
incessamment confirmée aux candidats politiciens sur les candidats simplement universitaires
» (p. 296-297 ; v. aussi la même antienne p. 794-795)19
.
Si l'on veut au contraire se débarrasser d'un gêneur, c'est tout aussi possible. Pour éliminer
Brunetière20
, on supprime l'École Normale supérieure, où il enseignait, puis on la rétablit, mais
sans Brunetière : « On avait plongé l'École Normale dans le néant, on l'en avait retirée. On l'y
avait plongée toute avec Brunetière, on la retira toute sans Brunetière » (p. 962).
***
Le monde judiciaire est peu présent. En ce qui concerne le barreau, je n'ai guère rencontré
, porte sur ce que Corneille, dont Lanson « essaya de parler », était avocat : « Ce sacré
que deux allusions. L'une, faite au cours d'un commentaire sur l'histoire du théâtre enseignée par
Lanson21
bonhomme, (c'est Corneille que je veux dire), faisait d'abord semblant de se laisser faire, le vieux
Normand, (le jeune Normand). Fallait-il qu'il fût roué, et comme Normand, et comme avocat »
(p. 959). L'autre, encore plus mince (et pour le moins ambiguë quant à l'opinion de Péguy sur
la profession d'avocat), est relative à Bernard Lazare, considéré par les dreyfusistes « comme un
agent que l'on payait, comme une sorte de conseil juridique ou judiciaire, [...] comme un avocat
officieux, comme un avocat non plaidant, [...] comme une sorte d'avocat consultant en matières
juridiques et surtout en matières politiques, [...]. Par conséquent comme un homme que l'on
méprise » (p. 446-447).
Il y a un peu plus sur la magistrature. À un endroit, Péguy se borne à écrire qu'« il y a des degrés
dans la science et dans la magistrature » (p. 267). Il n'en dit pas plus - c'est au monde scientifique
qu'il en a.
18. La note 47 (p. 350) indique que ce mot a été forgé par Péguy sur le latin socer, qui désignait le beau-père.
19. Rien de nouveau sous le soleil. Écoutez Beaumarchais : « on pense à moi pour une place, mais par malheur j'y étais propre : il
fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint » (Le Mariage de Figaro, V, 3).
20. Ferdinand Brunetière (1849-1906) était un historien de la littérature et un critique littéraire. Catholique, antidreyfusard sans être
antisémite, il a été maître de conférences à l'École Normale supérieure, puis professeur à la Sorbonne. L'École Normale avait été
rattachée à l'Université de Paris en 1904.
21. Gustave Lanson (1857-1934), auteur d'une célèbre histoire de la littérature française, a été professeur à l'École normale supérieure
et à la Sorbonne. Péguy le malmène fort dans les Cahiers.
Droit & Littérature - Numéro 7 133
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