Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 168

VARIÉTÉS
qualifie l'idéal universel de justice. Les victimes de l'État, comprennent aussi, dans une certaine
mesure, certains « bourreaux » - agents de l'État - éloignés parfois, par leurs actes et leur pensée,
de leurs proches68
.
Dès lors, l'État, où qu'il soit, loin d'être une structure indispensable acceptée par tous, est une
fiction qui, construite par quelques-uns, s'auto-justifie et s'auto-entretient en recourant lui-même
au faux, à la tromperie, à la ruse et au mensonge - donc à la fiction69
carcérales est ainsi dénoncée : elles cherchent au moyen d'un dossier truqué à faire transférer le
prisonnier nihiliste à l'asile70
nistration carcérale prend soin de détruire pour le remplacer par un rapport du médecin de la
prison, il revendique ses idées71
pour étayer l'accusation72
. L'action des autorités
alors même que loin d'être fou, lors d'un interrogatoire que l'admi.
Un autre interrogatoire, falsifié, accompagne le rapport médical
. La duperie est une habitude, « un masque », qui trouble la pensée, le
raisonnement même des agents de l'État. Lorsque les faits ne sont pas en accord avec sa volonté,
le gouverneur de la prison n'est pas capable d'imaginer autre chose qu'une tromperie dont son
fils aurait été victime, alors même que c'est bien son fils, de son plein gré, qui a fait évader le
prisonnier73
de folie pour décrédibiliser la parole anti-État74
pour instiller le doute sur les paroles et actions passées, présentes et à venir du prisonnier nihiliste75
.
Ce recours au faux est associé dans le roman à son but : celui d'user de l'accusation
en répandant cette accusation hors de la prison
. Ebenezer souhaite porter ses convictions jusqu'à l'échafaud76, ce que lui refuse l'État en ne
lui administrant pas la peine capitale aux yeux de tous mais en le soustrayant plutôt à un éventuel
auditoire par un enfermement qui se double d'un mutisme forcé à la « maison des fous »77
.
68. Idem, p. 98.
69. Des actions qui, pour elle, s'intensifient avec la « coordination » des États : « Ces sortes de ruses ne se seraient pas employées
autrefois dans le pays des loups, mais il y a l'Internationale des gouvernants comme il y a celle des gouvernés et les habitudes des uns
se communiquent aux autres », cf. idem, p. 87. Le thème de « l'Internationale gouvernante » était déjà présent dans le Bâtard impérial
(1883), cf. idem, p. 87, n. 1. Louise Michel n'est pas favorable à cette modalité y voyant une minorité éclairée qui agit à la place du
peuple : « Nous n'avons pas fait appel à l'Internationale morte parce qu'on n'a pu en réunir les tronçons et parce que l'Internationale
est un pouvoir occulte et qu'il est temps que le peuple se montre au grand jour. », cf. L. Michel, « Défense de Louise Michel », loc. cit.
Peut-être déçue de son passage au Congrès des anarchistes de 1881, cf. V. Fau-Vincenti, « Michel, Louise », loc. cit. et J. Maitron,
Le mouvement anarchiste, op. cit., p. 133-115.
70. C'est le thème du chapitre V intitulé l'évasion, cf. C. Rétat, « Présentation », loc. cit., p. 30 et L. Michel, La Chasse aux loups, op. cit.,
p. 85-93.
71. « Le vieux policier, à l'annonce de l'arrivée de son fils, repoussa le dossier qu'il parcourait [...] Avec ce dossier était un ordre au
chef de police, d'après le rapport du médecin de la citadelle constatant que le prisonnier [...] était atteint de folie furieuse, de l'expédier
à la maison des fous la plus sévèrement gardée [...] Le chef de police se rendait très bien compte, par l'interrogatoire du prisonnier,
qu'il lui avait été ordonné de brûler, qu'à moins d'être lâche, il n'y avait pas à répondre autrement qu'en jetant à la tête des représentants
de la justice, à défaut de mieux, les qualifications qu'ils méritaient ; c'est ce qu'on attendait. », cf. L. Michel, La Chasse aux loups,
op. cit., p. 86.
72. « On va te conduire à la maison des fous, tu gênes ! On se débarrasse de toi de la façon la plus lâche [...] Tu serais lâche de n'y
pas échapper. Si tu ne me crois pas, lis ! Voilà ton dossier, tes réponses ont été non seulement surprises par la colère qu'on provoquait,
mais encore tronquées ! », cf. idem, p. 90.
73. « Ce que souffrait le gouverneur pendant les interrogatoires est impossible à dire - il gardait son masque impassible, s'attachant
à l'idée que les ordres avaient été volés par quelqu'un qui, ressemblant par hasard à Paul [son fils], prenait impunément son nom et
jouait son personnage. », cf. idem., p. 96.
74. Un stratagème dont Louise Michel a été victime, cf. C. Rétat, « Présentation », loc. cit., p. 17.
75. « Le bruit de sa folie était habilement répandu, ce qui aurait dû en faire douter les amis du dehors, puisque les nouvelles fausses
seules traversent facilement les murs des geôles. », p. 86.
76. C. Rétat, « Présentation », loc. cit., p. 18.
77. « Avec ce dossier était un ordre au chef de police, d'après le rapport du médecin de la citadelle constatant que le prisonnier [...]
était atteint de folie furieuse, de l'expédier à la maison des fous », cf. L. Michel, La Chasse aux loups, op. cit., p. 86.
168 Droit & Littérature - Numéro 7
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