Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 170

VARIÉTÉS
A. La liberté et l'égalité
Le roman s'ouvre sur l'espoir de voir la liberté advenir partout dans le monde que Louise Michel
présente comme l'antonyme de la torture, par essence contrainte88
. Cette liberté est loin d'être
individuelle. En effet, pour l'autrice, la liberté des uns ne peut se faire sans celle des autres et seule
la liberté collective permet d'échapper à la violence d'État89
se prépare90
. La liberté individuelle n'est vue, que comme un droit à l'erreur, à la bêtise91
de l'État qui les conduit à une ignorance volontaire et les pousse à agir hors de la raison93
servilité touche autant les policiers, et en particulier le gouverneur de la forteresse94
subalternes95 accusés par Ebenezer de n'être que les chiens de garde de l'État96
le prisonnier, peut encore pardonner au « malheureux » son obéissance97
agents plus haut placés, comme le gouverneur de la forteresse98
, où, même au cœur de ses prisons, elle
qui ne
doit cependant jamais conduire à subir une contrainte, morale ou juridique, de la part de l'État ou
de ses avatars92
. En contrepoint, Louise Michel critique avec force l'obéissance servile des agents
. Cette
, que les geôliers
. L'autrice, à travers
mais critique le zèle des
. Cette obéissance et ce zèle par
88. « Ceux qui regardent à l'horizon dans les blancheurs de l'aube poindre la liberté du monde et qui voient partout les tortures
étreindre l'humanité, ceux qui savent combien dévorent d'hommes les loups humains s'appellent pour la battue. », cf. L. Michel,
La Chasse aux loups, op. cit., p. 67. Un espoir qu'elle exprime déjà en 1883 : « Quant à moi, ce qui me console, c'est que je vois au-dessus
de vous, au-dessus des tribunaux se lever l'aurore de la liberté et de l'égalité humaine », cf. L. Michel, « Défense de Louise Michel »,
loc. cit.
89. « Arrêté ! dit le prisonnier, j'ai accepté ton amitié Paul, et te la rends. Je crois que tu seras utile à notre cause. Mais je n'accepte
pas pour moi la liberté que n'ont pas mes deux camarades prisonniers. Les coups, le silence, la potence, tel est leur partage. Je ne veux
pas d'une liberté infamante. Je l'ai refusée avec les violences que tu sais ; ce n'est pas pour la prendre moi-même. - Mon cher Paul, il
faut cesser cette plaisanterie. Le fils du gouverneur arrêta son ami. Écoute-moi, Ebenezer. Il faut que je te jette la vérité au visage pour
que tu me suives. Les violences auxquelles tu t'es laissé aller [détruire l'intérieur de sa cellule] ont donné contre toi une arme terrible.
Ce n'est pas à la citadelle que tu vas rester ; tes refus de liberté ne comptent pas. Ce matin même on va te conduire à la maison des
fous, tu gènes. », cf. idem, p. 90.
90. « Une vie bêtement abandonnée, loin de servir, nuit à la cause de la liberté. Du haut des potences on la sert, dans les cachots on
la prépare, mais dans les cabanons [les asiles] le souffle de la liberté s'éteint. », cf. idem, p. 86.
91. « Dans tous les cas, il [Ivan] était libre de se tromper, chacun use largement du droit à la bêtise - c'est la plus grande part de
l'héritage universel, jusqu'à présent. », cf. idem, p. 81.
92. Cette critique de la soumission ou de la contrainte morale, ou juridique, se retrouve à plusieurs endroits du roman : « Il [le gouverneur]
eût voulu voir Paul aux plus hautes dignités de l'empire ; et telle était son ambition pour son fils que le tzar le trouvait de plus
en plus soumis à mesure que le jeune homme avançait en âge. C'était le contraire du fils qui de plus en plus souffrait de la contrainte
étroite où il avait vécu dans son enfance et sa prime jeunesse. », cf. idem, p. 85, « Paul, [...] je sais toutes les plaisanteries [...] qui ont
eu lieu la nuit du dernier bal masqué où vous n'auriez même jamais dû aller. - Pourtant, si vous voulez changer de conduite je vous
pardonnerai pour la dernière fois, autrement je n'ai plus de fils. Il avait prononcé tout ce cliché, s'arrêtant aux endroits qu'il supposait
à sensation. Paul sentit les larmes lui monter aux yeux... », cf. idem, p. 87.
93. « Le chef de police, couché sur le dossier, sentait bien que l'affaire n'était pas claire mais pour débarrasser le tzar de ses ennemis
on n'a pas à y regarder de si près », cf. ibid., « son père allait cette nuit même commettre un crime d'esclave, une infamie, en livrant
pour les maisons des fous un malheureux que sciemment il savait en pleine et forte raison. », cf. idem, p. 86.
94. « Paul eut à cet instant l'intuition de la réalité - son père lui apparut tel qu'il était, le policier, l'esclave du tzar, le geôlier. [...]
son père allait cette nuit même commettre un crime d'esclave, une infamie, en livrant pour les maisons des fous un malheureux... »,
cf. idem, p. 86, « Mon cher père, mon pauvre père, ne pouvez-vous cesser d'être esclave », cf. idem, p. 97.
95. « Ce soir je [Paul] doit voir le prisonnier. Conduis-moi, Perkoff. Respectueusement, le geôlier en chef prit un flambeau et marcha
devant le fils du gouverneur [...] Ouvre, dit Paul. Le geôlier, l'échine toute ronde à force d'être pliée, s'empressa d'obéir. Retourne,
lui dit Paul, je me charge des clefs [...] La chose est des plus importantes. Perkoff s'inclina encore plus bas. Les affaires importantes ne
sont pas l'occasion de désobéir. », cf. idem, p. 89.
96. Idem, p. 88-89.
97. Ibid.
98. « Le vieux policier, à l'annonce de l'arrivée de son fils [Paul], repoussa le dossier qu'il parcourait pour la millième fois peut-être
afin de s'assurer que le tzar était bien servi. », cf. idem, p. 87, « Le gouverneur fut prévenu [de l'évasion], son zèle l'avait empêché de
dormir. », cf. idem, p. 95.
170 Droit & Littérature - Numéro 7
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