Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 233

VARIÉTÉS
Dans La Correspondance cassée, La Brige trouve malhonnête d'acheter une nouvelle correspondance
quand la sienne est simplement abîmée. Face au contrôleur ignorant ses questions sur
la validité de sa correspondance, La Brige est insultant : « Est-ce que vous êtes sourd, idiot ou
empaillé ? »57
. Aussitôt le contrôleur lui « aboie » que « sa correspondance ne peut pas servir »
et lui suggère de la manger puisque, selon lui, « les morceaux en sont bons ». Il obtient aussitôt
gain de cause : le conducteur accorde qu'« une correspondance cassée est, jusqu'à certain point
valable ! ». Sachant que le règlement n'impose pas un paiement en « espèce déterminée », il sort
un billet de mille francs pour s'acquitter de trois sous. Il est évidemment impossible au conducteur
du tramway de lui rendre la monnaie sur une telle somme : « Est-ce que vous vous fichez
du monde ? Nous allons peut-être changer l'itinéraire de la voiture et passer par la Banque de
France ! »58
. La Brige le menace alors physiquement : « Si vous avez le malheur de me barrer le
chemin, je vous saisis par la culotte et je vous envoie sur la chaussée par-dessus cette balustrade »59
.
Dans Le Mauvais Cocher, La Brige force un fiacre, qui voulait terminer son service, à le conduire
rapidement à la gare de Vincennes. Mais le cocher renâcle, il veut terminer son service, La Brige
risque de rater son train et lui rappelle qu'un « cocher qui va remiser ne doit pas stationner sur
la voie publique et s'arrêter quand on l'appelle »60
. L'homme s'exécute mais, pour se venger, il
qui ne veut plus de lui dans son fiacre :
ralentit son cheval et n'arrive pas à temps à la gare. La Brige n'est pas dupe : il entend lui donner
une leçon. Il est menacé d'un coup de poing par le cocher61
« Paquet !... Outil !... Tête de veau62
! (...) Salaud ! Voleur ! »63
. Il doublera pourtant la longueur
de la course en payant le tarif le plus bas, sous le contrôle d'un agent. Le cocher est contraint de le
conduire à Levallois-Perret. La loi du Talion a fonctionné : La Brige retarde celui qui l'a retardé !
On notera que ces différends commerciaux concernent les moyens de transport. Comme si
métaphoriquement, les personnes qui entravent la libre circulation de La Brige commettent une
atteinte insupportable à sa liberté individuelle, voire à son existence tout court. C'est une question
d'honneur et de survie.
Dans La Lettre chargée, dernier opus du recueil, la situation est inversée. Face au refus opiniâtre du
postier, La Brige n'a guère de recours réglementaire ni légal. Ratcuit est dans son droit de ne pas
lui remettre un mandat de cent francs sans justificatif. D'une certaine façon, l'intransigeance bornée
et le respect strict des règles rappellent le comportement de notre héros. Face à cette impasse,
La Brige après avoir tenté de circonvenir le fonctionnaire s'en tire par une mauvaise plaisanterie
sur son nom : « J'ai emprunté cent sous à un homme du monde ; je n'ai aucune espèce de raison
pour les rendre à un rond-de-cuir. Au revoir Monsieur Ratbouilli »64
.
57. La Correspondance cassée, p. 394.
58. Id., p. 395
59. Id., p. 396.
60. Id., p. 390.
61. « À la fin, allez-vous descendre ? Faut-il que je vous foute mon poing sur la gueule ? » (Le Mauvais Cocher, p. 391).
62. « La Brige (qui en effet est chauve) - J'ai la tête d'un veau mais vous en avez l'âme ! » (id., p. 392).
63. Id., p. 392 et sq.
64. La Lettre chargée, p. 389
Droit & Littérature - Numéro 7 233
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