Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 269

Chroniques
Je ne nomme Hyacinthe, répondit le vieillard. Je ne suis plus un homme, je suis le numéro 164, septième
salle, ajouta-t-il en regardant Derville avec une anxiété peureuse (...) Vous allez voir le condamné à
mort ? dit-il après un moment de silence. Il n'est pas marié, lui ! Il est bien heureux ».
Les hommes n'aiment pas être assimilés à des numéros pourtant. L'on se souvient peut-être de cette
admirable série de télévision anglaise des années 1970, Le prisonnier, où le héros s'écriait : « Je ne suis
pas un numéro. Je suis un homme libre ! »6
. Le domicile, le nom, l'état civil identifient néanmoins les
personnes physiques confortant en cela la célèbre thèse de Planiol sur l'institution de police civile.
Dans son Traité élémentaire de droit civil7
, cet éminent auteur soulignait que « le nom est une institution
de police civile ; il est la forme obligatoire de la désignation des personnes, mais il n'est pas plus un
objet de propriété que ne le sont les numéros matricules ; il n'est pas aliénable : la loi ne le met pas à
disposition de celui qui le porte et elle l'établit beaucoup moins dans son intérêt que dans son intérêt
général ». Cette thèse qui envisage les personnes dans leur vie sociale et non comme des individus soumis
à des contrôles de police (contrôle d'identité par exemple) est remarquable à des biens des égards.
Elle est aujourd'hui éclipsée par celle qui met l'accent sur le fait que le domicile tend à devenir un élément
du droit au respect de la vie privée et familiale. Le logement doit être décent. Ceux qui en sont
privés (que l'on nommait précisément les sans domicile fixe ou SDF) doivent être protégés. Sans rentrer
dans cette discussion sur les droits et libertés fondamentaux, nous pouvons dire simplement que le
domicile fait la personne, participe de son essence. C'est précisément ici ce que pointe Yves Simon,
auteur-compositeur plus connu pour Diabolo menthe8
que pour La dérive des sentiments9
. « Dans un
aéroport, les hôtesses qui y déambulent sont rarement seules, elles marchent par petits groupes, rient
beaucoup et semblent s'amuser d'un rien. (...). On sent bien qu'elles sont chez elles dans ces vastes
non-lieux de verre et de béton que personne n'habite, ou l'on passe, sans trace, où l'on pense toujours
à un autre lieu que celui où l'on se trouve, une ville, un visage qui attend à l'autre bout du monde. Peutêtre
sont-elles, elles aussi, des non-personnes, faisant mine d'exister entre deux hôtels, entre des villes
virtuelles où elles ne font que poser les pieds pour lire sur un panneau d'affichage qu'elles sont bien ici
et pas ailleurs »10
à Carbonnier11
. Ces « non-personnes » sont-elles, en droit, un lointain écho du non-sujet de droit cher
? La personne nécessite un ancrage pour exister ce qui ne veut pas dire un enracinement.
Outre le domicile, la personne est identifiée au moyen d'un nom et d'un prénom. L'on sait que le choix
des prénoms a été pendant longtemps régi par la loi du 11 germinal an XI qui disposait : « Les noms
en usage dans les différents calendriers et ceux des personnes connus de l'histoire ancienne pourront
seuls être reçus comme prénoms ». Calendriers avez-vous dit ? Des postes ? Calendriers français ? (afin
de refouler prénoms étrangers Bretons ou Corse). Personnes connues de l'histoire ancienne ? Mais quid
de la mythologie ? Charles mais non Ulysse ? Jules mais non Abdel ? Ces réserves, cet enracinement
précisément, avec l'évolution des mœurs, ont rapidement été insoutenables. Cette même année 1987
verra une cour d'appel juger que « le développement des échanges internationaux et les mouvements
de population rendent parfois usuels et familiers des prénoms à consonance étrangère »12
. Nous voilà
rassurés. La libéralisation des choix des prénoms (ou l'abandon de cette vision Maurrassienne) viendra
avec la loi du 8 janvier 1993. Désormais : Les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère
(article 57 al. 3). Les parents ont souvent le sentiment de faire preuve d'une grande originalité dans le
6. Rappelons que cette série, créée par Georges Markstein, suit un ancien agent secret britannique, retenu prisonnier dans un
mystérieux village balnéaire, où ses ravisseurs essaient de savoir pourquoi il a brusquement démissionné de son poste. Tous les
prisonniers sont identifiés par un numéro.
7. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, T. 1, Pichon, 5e
éd., 1908, n° 398.
8. Musique d'un film d'Yves Simon, du même nom, réalisé par Diane Kurys, sorti en 1977. Le film est une comédie dramatique
centrée sur la thématique de l'adolescence. La musique est particulièrement délicate et mélodieuse.
9. Publié chez Grasset en 1991.
10. Y. Simon, Le prochain amour, Grasset, 1996.
11. J. Carbonnier, « Sur les traces du non-sujet de droit », APD, tome 34, « Le sujet de droit », 1989, p. 203.
12. Versailles, 6 juillet 1987, D. 1987, IR, 224.
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