Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 291

RECENSIONS
Les dystopies
et le droit
(ouvrage
collectif)
sous la direction d'Émilie Gicquiaud,
préface de Nicolas Dissaux,
Mare & Martin,
coll. Droit & Littérature,
2022, 336 pages.
Les dystopies désavouent souvent Paul Claudel. Que
le pire y soit toujours sûr est comme une évidence.
L'ouvrage dirigé par Émilie Gicqiaud, qui rassemble
une vingtaine de contributions et qui s'inscrit pleinement
dans le mouvement droit et littérature, le
confirme. La surveillance des individus (deuxième
partie), leur aliénation (troisième partie), et leur survie
(quatrième partie), les prédictions des œuvres
littéraires qui sont classées parmi les dystopies, ne
sont guère réjouissantes.
L'ambition de l'ouvrage impressionne ! Convaincus
à raison de l'intérêt de « s'intéresser à la manière
dont le droit est utilisé dans les récits dystopiques »
(J.-B. Thierry, p. 21), les auteurs qui ont accepté de
relever le défi s'attachent à montrer comment le
droit peut y « constituer un puissant outil narratif
et permettre d'ancrer le récit dans la réalité » (ibid.).
En effet, comprise comme « une forme d'anticipation
pessimiste, la dystopie décrit les dérives de nos
mondes plus ou moins futurs et peut faire reposer
les inégalités, le contrôle des êtres, les injustices, les
dérives bioéthiques ou mécaniques sur les règles
juridiques » (ibid.). Défaillant ou perverti, le droit,
qu'il soit entièrement inventé pour les besoins du
récit, ou qu'il projette certaines dispositions dans
l'avenir, s'impose pleinement comme un ressort
puissant du récit dystopique. C'est d'ailleurs à « une
lecture dystopique de la fondamentalisation » que
procède Ludovic Benezech (p. 29 à 38), qui s'inquiète
de constater que « les projections qu'il est possible
d'établir au regard de la dynamique actuelle de la
décélération de la fondamentalisation sont loin d'être
réjouissantes » (p. 29). Il nous propose ainsi un récit
juridique d'une approche dystopique qui, «à l'image
de la littérature qui « peint des futurs noirs, carcéraux,
rationnalisés, déshumanisés, dans l'inten tion
de tirer des sonnettes d'alarme», se donne dès lors
pour ambition de décrire un lendemain à la fois réaliste
et pessimiste des droits fondamentaux » (p. 30).
Ordre public dominé par la sécurité, marqué par un
renforcement des contrôles et un durcis sement des
contraintes, et ordre juridique domestiqué par le
risque, qui asservit les droits fondamentaux en présence
de risques instrumentalisés et qui aboutit au
pari du renoncement aux droits fondamentaux, les
titres du plan déployé par Ludovic Benezech diront
assez ce que les législations sécuritaires et sanitaires
lui inspirent ! Pour sa part, Emilie Gicquiaud introduit
les perspectives détaillées ensuite dans les différentes
parties de l'ouvrage en montrant que les
dystopies doivent être lues comme des « odes aux
libertés fondamentales » (p. 39 et s.). En plongeant
dans le pire du futur, elles auraient pour fonction
politique de nous obliger à une attention constante
sur notre présent. Si, à titre tout à fait personnel,
nous avons du mal à voir dans les exemples hongrois
et polonais des démonstrations convaincantes
de dangers pour l'État de droit (voir, p. 39 ; surtout
quand ce sont les institutions européennes qui prétendent
les dénoncer), nous partageons la crainte
évoquée par Émilie Gicquiaud devant la place occupée
par les GAFAM dans notre quotidien. Son étude
transversale des œuvres dystopiques fait admirablement
bien ressortir les outils employés par le pouvoir
en place afin de nier les libertés fondamentales
et l'individu. Exacerbation de l'intérêt supérieur de
la collectivité qui met en danger aussi bien le droit
à la vie que le droit au respect de l'intégrité physique,
exacerbation de la hiérarchisation sociétale,
disparition de la vie privée causée par une surveillance
imposée et souhaitée, disparition de la pensée
individuelle causée par des limitations constantes
de l'accès à l'instruction et des atteintes à la liberté
Droit & Littérature - Numéro 7 291
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