Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 50

Le thème
Côté Péguy : la fraternité par le fratricide
La conversion de Péguy au christianisme a alors un impact considérable sur son usage du
lexique fraternel. Le christianisme lui devient le foyer à partir duquel penser la fraternité à la fois
au présent, comme possibilité immédiate, au passé, à partir de l'événement de l'incarnation, et au
futur, dans une perspective sotériologique. Le christianisme est l'occasion de se saisir enfin directement
de la question fraternelle, mais aussi d'en faire saillir d'autant plus cruellement les apories,
jusqu'à espérer les dépasser.
Pour le Péguy chrétien, la fraternité est présente dans les premiers moments de la Création
- elle est d'ailleurs mentionnée dès la deuxième strophe de l'immense poème d'Ève66
quelques pages plus loin à des variations sur l'« amour fraternelle67 ». Par le biais d'Ève, mère de
, donnant lieu
toute l'humanité, il est déjà possible de faire tourner le kaléidoscope des liens familiaux universels :
Et nul ne vous connaît, seule mystérieuse,
Ni l'homme votre fils, ni l'homme votre frère,
Ni l'homme votre époux, ni l'homme votre père68
Mais devant tous ces possibles, c'est la fraternité qui se trouvera consacrée dans le christianisme,
par l'incarnation du Christ, autour de laquelle tout s'articule, en trois niveaux, trois manières complémentaires
de tisser le lien de fraternité : l'incarnation, le baptême et la communion des saints.
L'incarnation produit immédiatement, par son événement même, la fraternité universelle :
[...] nous [chrétiens] sommes frères de Jésus dans notre éternité. Et dans notre temps nous
fûmes ses frères, nous sommes ses frères en Adam, en notre père Adam ; nous sommes frères
de Jésus dans notre humanité69
.
Par le Dieu fait homme, la fraternité universelle de la « race » humaine et la fraternité spirituelle
de la « grâce » reçue se superposent. C'est cela qui permet à Péguy d'écrire, suivant une
paronomase courante sous sa plume : « La grâce nous fait une famille et une race. La grâce nous
fait fils de Dieu et frères de Jésus-Christ70
. » Et c'est aussi cela qui consacre « dans les siècles des
». Toute famille humaine continue de tisser, à sa modeste
», le lien fraternel qui relie chacun au Christ :
.
siècles », « tous les enfants des hommes » en « frères de Jésus » - et qui fait de Marie la « Mère de
Jésus et de tous les hommes ses frères71
échelle immanente, celle des « simples hommes72
Les armes de Jésus c'est la pauvre famille,
Les frères et la sœur, les garçons et la fille73
66. Le vers 6 fait rimer « fraternelle » avec, au vers 8, « éternelle » (Ève, OPD, p. 1177.)
67. Ibid., p. 1182-1183.
68. Ibid., p. 1193.
69. Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc [1910], OPD, p. 443.
70. Note conjointe sur M. Descartes et sur la philosophie cartésienne [1914], OPC III, p. 1313.
71. Le Porche du mystère de la deuxième vertu, op. cit., p. 657 et p. 663.
72. Le Mystère des saints Innocents [1912], OPD, p. 801.
73. La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc [1912], ibid., p. 1108.
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Droit & Littérature - Numéro 7
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