Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 11

PRÉFACE
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vraiment abuser d'un droit que vous confient les sources les plus importantes du système
juridique ? Ne pas en « abuser » revient-il à y renoncer pour partie ?
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La thèse de Jonas Guilbert a pour ambition de répondre à ces redoutables interrogations
qui renouent donc avec des réflexions plus anciennes, mais aujourd'hui
mobilisables à nouveaux frais, dans ce contexte de débats relatifs à la légitimité des
droits. Au terme d'une analyse sémantique de diverses sources juridiques, spécialement
la jurisprudence de la Cour EDH, l'auteur tire une première conclusion de sa
recherche : la formule « abus de droit » constitue un véritable abus de langage et
désigne, en réalité, « l'abus de la prétention factuelle à exercer un droit ». Car, en
effet, à proprement parler, on n'abuse pas d'un droit, mais on tente de faire reconnaître
une ambition nuisible aux droits comme étant un de ces droits. Il revient alors aux
interprètes de la Convention de déjouer ce fait accompli subversif. L'abus de droit
désignerait ainsi la dénonciation d'un « troyen » venu détourner le sens de la « fondamentalité
» d'une prérogative subjective. En est-il alors de l'abus de droit fondamental
comme de l'abus de tout autre droit ? N'est-on qu'à un degré différent de la hiérarchie
des normes mais avec un semblable raisonnement ? Ou le « discours de la fondamentalité
» crée-t-il un ensemble différent, remplissant un rôle interprétatif spécifique ?
Comme Dworkin, fallait-il prendre les « droits au sérieux »6 ? La réponse ne relève
pas de l'ordre de la simple observation du droit positif mais de l'inclusion de ce dernier
dans un ensemble plus vaste, celui de la signification même du « fondamental »,
qui détermine en réalité un sens propre de cet abus. L'abus de droit ne se comprend
pas seulement, de manière inductive, par l'agrégation des décisions et motivations des
jurisprudences européennes ou nationales comparables. Il apparaît comme concept en
y associant le contexte doctrinal, politique et social qui concrétise ce que les sources
de droit offrent sous la dénomination d'abus de droit. L'article 17 de la Convention
EDH et ses raisonnements comparables ne s'analysent pas comme une déclinaison
des théories civilistes sur des droits nouveaux, mais comme une notion propre et
autonome davantage conditionnée par la spécificité des droits fondamentaux comme
« principes » que par une simple disproportion d'usage par rapport à d'autres droits en
conflit. Dès lors, l'abus de droit s'établit a posteriori et non pas a priori ; le contrôle
porte sur l'usage revendiqué, prétention potentiellement provocatrice. Le concept suppose,
pour le destinataire des droits fondamentaux, la liberté première de l'usage,
quitte à ce que le juge disqualifie cet usage, a posteriori, comme n'étant pas l'exercice
d'un droit fondamental. Il faut donc faire attention : si la proportionnalité est effectivement
le concept central de la fondamentalité, le risque serait grand de tout mettre
sous ce concept et de confondre tout intérêt social pratique avec un droit fondamental.
C'est donc de la compréhension objective de ce qu'on entend par fondamentalité que
dépendent la méthode et la solution.
La démarche de recherche impliquait donc de choisir un paradigme et une
méthode permettant de placer la notion d'abus de droit fondamental dans un contexte
discursif plus global qui donne une même réalité au concept de « fondamentalité ». La
méthode importait donc au premier chef, car elle conditionnait la visibilité spécifique
6. Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts),
1977.

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