Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 14

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
question de la généalogie de la fondamentalité, des critiques formulées à son égard
dans le champ philosophique, des incertitudes dans la définition de cette fondamentalité
et les fonctions du discours de la fondamentalité. Les développements relatifs à
l'essor des droits fondamentaux et des représentations doctrinales qui l'entourent
paraîtront peut-être superfétatoires à certains ; mais, outre qu'ils sont souvent remarquables
de par la maturité et la hauteur de vue, ils sont indispensables à la compréhension
du contexte interprétatif spécifique aux droits fondamentaux, comme
ensemble de « préjugés » (au sens positif de Gadamer13) donnant sens à toute interprétation
qui doit être reçue par une communauté de destinataires. Dans cette communauté
d'interprétation, comme hypothèse explicative réelle, cohabitent les interprètes
authentiques, au sens kelsenien, mais aussi la doctrine, les destinataires des normes,
ou encore des acteurs au discours plus politique sur le sens des droits. Ainsi, même si
le juge administratif s'est montré réticent et n'épouse pas nécessairement la doctrine
de la Cour EDH, il a été profondément influencé par l'architecture conceptuelle de ce
discours, notamment le concept de proportionnalité. Ce premier temps du travail établit
effectivement que le concept d'abus de droit fondamental, bien au-delà de sa présence
explicite dans le discours juridique, est essentiel à la détermination de la signification
même des droits fondamentaux. Claire et convaincante, la thèse affirme que
l'abus de droit fondamental est une prétention à tort d'exercer un droit que l'on n'a
pas. Dès lors, l'auteur conclut sa première partie en rappelant que « l'infrastructure de
la fondamentalité est incontestablement marquée par l'individualisme comme vision
compréhensive du monde, cependant d'un point de vue juridique, la réduction des
droits fondamentaux à la prévalence de l'intérêt individuel, voire de l'égoïsme asocial,
est une simplification outrancière et erronée. La fondamentalité en droit, en tant
qu'objectivité juridique et sociale, est en réalité structurellement intersubjective, de
sorte que la considération de l'altérité, même minimale, intervient dans le processus
de signification d'un droit fondamental ».
La seconde partie poursuit alors l'analyse pour mettre en valeur l'intérêt tant
normatif que cognitif de ce concept. Elle consiste en une phase déductive qui opère
la confrontation du concept hypothétique d'abus au droit positif. Dans le premier
aspect, le concept permet de faire le départ entre celles des prétentions individuelles
justifiées à l'usage de droits fondamentaux et celles qui ne le sont pas ; tandis que
dans le second, le concept est lu du point de vue de ses vertus épistémiques, au regard
des conditions démocratiques de l'ordre même du discours de la fondamentalité. Il
appelle l'arbitrage entre le caractère abusif, et le caractère seulement excessif d'une
prétention. Selon l'auteur : « le concept de l'abus de droit fondamental, qui a pour
objet la manière dont les droits sont exercés, délivre deux types d'enseignement sur
l'usage des droits fondamentaux : d'un point de vue normatif, ces usages sont des
prétentions ; d'un point de vue cognitif, ces usages sont des propositions de signification
du droit allégué. En contrôlant la validité de ces usages, le concept de l'abus se
positionne directement sur le plan de la signification des droits fondamentaux : ce que
l'on peut en faire, ce que l'on peut en dire ».
Le concept proposé se présente donc, aussi, comme un complément du principe
de proportionnalité. Alors que la proportionnalité a vocation à jouer une fois établie
13. Hans-Georg, Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique.
Édition intégrale revue et complétée par Pierre Fruchon, Jean Grondin et Gilbert Melh, Paris,
Seuil, 1996.
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