Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 143

L'ABUS DE DROIT, MÉTHODE DE L'ABDUCTION
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théoriques sont complexes, mais cette définition indique que l'action conceptuelle de
l'abus dépasse le référentiel strictement juridique, présenté sous le signe de l'apparence,
donc a priori de manière formelle, pour appréhender empiriquement l'acte,
autant par ses manifestations phénoménales que par ses implications concevables.
Ici encore, tout dépend du cadre théorique d'analyse. Une conception minimaliste
du droit considèrera que la réalité économique de l'acte ne relève pas de la science
juridique. A contrario une vision plus englobante verra là un objet de la connaissance
juridique, puisque l'analyse économique est intégrée au processus normatif concret.
Enfin, la matière fiscale fait intervenir une institution particulière, le Comité de l'abus
de droit fiscal, composé de magistrats, de professionnels du droit et d'un universitaire.
Il émet un avis sur sollicitation d'un particulier ou de l'administration à propos du
caractère abusif de faits litigieux. Il s'agit d'une instance spécialisée dans l'interprétation
des faits constitutifs d'abus. Cet interprète spécialisé produit donc de la
connaissance sur la notion même de l'abus de droit afin d'orienter l'activité normative.
Il faudra s'en souvenir.
149. Le droit public64, et en particulier le droit administratif, a aussi sa notion
de l'abus de droit. La dimension téléologique du concept y est encore plus remarquable.
S'agissant du droit d'accès aux documents administratifs65,l'administration
n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre
ou leur caractère répétitif ou systématique66. Par un arrêt du 14 novembre 2018, le
Conseil d'État précise que la demande abusive a pour objet de perturber le bon fonctionnement
de l'administration sollicitée ou pour effet de faire peser sur l'administration
une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose67. En cette
seconde hypothèse, la désunion est franche entre le comportement stricto sensu de
l'administré et la condition du fait abusif, celui-ci étant constitué exclusivement en
raison des contraintes de fonctionnement de l'administration. La logique finaliste
absorbe la considération des agissements du requérant, ce qui donne à la notion de
l'abus de droit une bien vaste portée. On comprend, dès lors, les réticences de la rapporteure
publique dans cette affaire, qui invita le juge à faire un « usage parcimonieux
» de cette « soupape » que constitue la notion de demande abusive68.
150. La propension objectiviste du concept se retrouve logiquement au sein des
dispositions législatives69 qui ont pour objet la prévention et la sanction des abus de
droit. Tel est le cas de la législation à propos des clauses abusives en droit de la
consommation. En cette matière, l'article L. 212-1 du Code spécialisé prévoit que,
Impôts [en ligne], consulté le 15juill. 2019. Cf. not. CE, 27 juill. 2009, nº 295358. Le concept d'abus s'apparente
en la matière à la fraude à la loi.
64. Cf. not. art L. 112-3 ; L. 112-11 ; L. 122-1 ; L. 221-10 du Code des relations entre le public et
l'administration ; L. 600-7 du Code de l'urbanisme. Le juge administratif a pu avoir recours à la notion
de l'abus de droit s'agissant du droit de grève (CE, 7juillet 1950, Dehaene, nº 01645), du droit au recours
(CE, 25 oct. 1946, Sieurs Gronier et Gastu,nos
QPC).
66. Art. L. 311-2 du Code des relations entre le public et l'administration.
67. CE, 14 nov. 2018, préc., cons. 5 : l'acte est abusif non pas en raison de son objet, mais eu égard à
ses effets.
68. A. Iljic, Conclusions [en ligne] sous l'arrêt préc, p. 4.
69. Not. La loi du 29juillet 1881 sur la liberté de la presse qui regroupe nombre d'incriminations
pénales de ce que le Conseil constitutionnel nomme « abus de la liberté d'expression » (CC, 18juin 2020,
nº 2020-801 DC) ; égal. Art. 1164 et 1165 du Code civil en matière contractuelle.
71985 et 71986 ; CE, 24 avril 2006, nº 292742) ou encore en
matière contractuelle (CE, 13 avril 2016, nº 386775 ; CE, 16 mai 2018, nº 296107).
65. Un droit que la Constitution garantit selon le Conseil constitutionnel (3 avril 2020, nº 2020-834
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