Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 213

LA SPÉCIFICATION ABDUCTIVE DU CONCEPT DE L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
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un raisonnement formel, se déduit une solution à vérité unique »18. Ils sont effectivement
moins enclins au raisonnement déductif de type « si X conditions factuelles sont réunies
alors un régime juridique stabilisé Y est applicable ». Au contraire, les droits fondamentaux
sont généralement mobilisés selon un raisonnement inductif eu égard à leur caractère
de norme constitutive19. En ce sens, les interprètes de la fondamentalité sont sujets à
la « construction juridique »20, particulièrement les interprètes authentiques, qui voient
leur œuvre normative et cognitive accrue en la matière. Les énoncés de la fondamentalité
ne sont que des potentiels vagues de contenu, de pauvres indices21,qu'il appartient à
l'ordre discursif de stabiliser. En particulier, les organes d'application qui signifient
concrètement les droits, c'est-à-dire qui déterminent in situ la teneur du message normatif
en faisant des choix et en fournissant des raisons. La signification des droits fondamentaux,
conformément à une lecture pragmatiste22, se conçoit en référence à leurs
effets pratiques concevables, et devient accessible au cours de leur concrétisation normative.
Autrement dit, la nécessité normative23 de la fondamentalité suppose que la signification
des droits est liée à l'application du discours.
«L'application d'une règle juridique est en fait une opération très complexe
où l'interprétation des faits et celle de la norme se conditionnent mutuellement.
Du côté des faits de la cause en procès, le même enchaînement factuel peut être
interprété de plusieurs manières [...] ; et telle façon d'en lire l'enchaînement est
déjà orientée par la présomption selon laquelle tel enchaînement narratif place le
cas considéré sous telle règle de droit. Quant à la règle de droit, elle présente
elle-même une open structure qui la met sous la dépendance des interprétations
antérieures adoptées dans des cas semblables ; mais l'idée même de cas semblables,
présupposée par la règle du précédent résulte de l'interprétation du degré de
ressemblance ou de dissemblance avec les cas précédents. [...] Cela dit, il n'ya
plus rien de scandaleux à avouer le caractère vague du langage juridique, les
conflits entre normes, le silence de la loi sur les cas inédits, la nécessité de choisir
entre la lettre et l'esprit de la loi : c'est en l'appliquant que non seulement on
reconnaît la norme comme contraignante, mais que l'on fait l'épreuve de sa
variabilité, et que s'exerce le jeu décrit plus haut de l'interprétation mutuelle
entre la loi et les faits »24.
249. Au sein du processus de concrétisation des droits fondamentaux, l'appréhension
du contexte discursif s'opère en miroir de l'interprétation des faits en cause.
Ce sont les états de fait à régir qui valorisent certains contenus interdiscursifs en
droit25. Ces faits qui sont d'ailleurs présentés comme extérieurs au droit, mais que le
18. M. Delmas-Marty, « Les droits de l'homme, ni l'homme, ni le droit », dans Éthique médicale et
droits de l'homme, Actes Sud/Inserm, 1988, p. 321.
19. Supra. nº 117 et s.
20. R. Guastini, Leçons de théorie constitutionnelle (traduit et présenté par V. Champeil-Desplats),
Paris, Dalloz, 2010, p. 43.
21. Réf. à J.L. Austin, Quand dire c'estfaire (1962), trad. G. Lane, Paris, Seuil, 1991, p. 37.
22. C.S. Peirce, Pragmatisme et pragmaticisme, préc., pp. 404 et s.
23. En référence à la « logique du nécessaire » du point de vue herméneutique (P. Ricœur, « Le problème
de la liberté de l'interprète en herméneutique générale et en herméneutique juridique », dans Interprétation
et droit, préc.).
24. Ibid., p. 177, nous soulignons.
25. « Une norme n'appréhende une situation complexe du monde vécu que d'une manière toujours
sélective, à partir des points de vue qu'elle se donne préalablement comme pertinents, alors que l'état de
choses qui se constitue à travers elle n'épuise jamais le contenu de signification vague d'une norme

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