Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 288

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
tromper sur celle de l'abus de droit. L'actualité incessante à propos de la liberté d'expression,
spécialement en matière religieuse, a révélé ces invocations spéculatives du
concept d'abus, dénuées de fondement juridique, et qui en constituent même un
authentique dévoiement. Ce sont ces propos qui appellent à l'autocensure en matière
de liberté d'expression à l'égard du fait religieux201, prétendument au nom de l'abus
de droit. Ces rhétoriques abusives cherchent la censure ab initio, réduisant les prétentions
à exercer de manière valide la liberté d'expression en moquant, caricaturant,
blasphémant. Il se distille dans la société politique un discours non juridique, mais
qui se prétend l'être, et qui assimile de manière problématique l'excès à l'abus.Au
contraire, juridiquement, le concept de l'abus de droit fondamental laisse au destinataire
la priorité de l'usage, pour ensuite en contrôler la validité au regard des règles
constitutives du discours de la fondamentalité202. La contextualisation pragmatique
qu'il suppose est logique et non psychologique, elle prend appui sur la connaissance
objective à propos des droits fondamentaux au sein d'une communauté de discours,
contre l'attitude psychologisante qui voit à travers la fondamentalité une immunité
contre le désagrément social, un droit à ne pas être offensé dans ses croyances, valeurs
ou sentiments. Aussi, ne faut-il pas confondre le concept juridique de l'abus de droit
fondamental avec la rhétorique de l'abus, que certains brandissent allègrement dans la
sphère sociale, au mépris d'une correcte signification en droit, et aux fins d'imposer
une censure politique, morale ou religieuse.
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352. Si la sémantique des droits fondamentaux porte à l'évidence une victoire
symbolique de l'individualisme, l'abus de droit rappelle au droit positif le concept de
libertés publiques, selon lequel les « libertés sont envisagées en tant qu'objets de la
réglementation juridique »203. Dans un environnement juridique objectivement complexe,
où les sources normatives sont fragmentées, les relations sociales déséquilibrées
et les prétentions aux droits diverses, l'abus de droit fondamental est un concept
normatif aux dispositions déterminantes pour le bon fonctionnement du discours de la
fondamentalité. Loin de renoncer à l'idéal d'harmonie en droit, il déploie une contextualisation
pragmatique, au plus près de la réalité sociale, qui peut rendre aux relations
juridiques leurjuste équilibre logique. Une telle finalité normative n'appartient ni aux
idées platoniciennes ni au bon vouloir du juge, elle résulte d'une activité cognitive
constante au sein de la communauté d'interprétation du discours de la fondamentalité,
c'est-à-dire un travail incessant de conceptualisation des moyens et des raisons en
droit. De ce point de vue, le concept de l'abus de droit n'est pas bien différent du
concept de proportionnalité, il ne fait que concrétiser la logique de la fondamentalité
contre les diverses tentations liberticides, publiques comme privées, qui jouent de la
démesure en dépit du véritable sens des droits.
soulignons). À propos duprincipe de liberté au fondement de l'ordre juridique, cf. S. Perera, Leprincipe de
liberté en droit publicfrançais, Paris, LGDJ, 2021, spéc. pp. 39-154.
201. O. Mongin, J. L. Schlegel, « Les défenseurs de la caricature à tous les vents sont aveugles sur les
conséquences de la mondialisation », Le Monde, 3 nov. 2020.
202. Cf. not. TGI Paris (17e
ch.), 22 mars 2007, Société des habous et des lieux saints de l'Islam et
Union des organisations islamiques de France c/Ph. Val, Légipresse, préc.
203. P. Wachsmann, Libertés publiques, Dalloz, 2017, p. 3.

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