Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 298

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
litigieux. Elle considère ainsi que la notion de l'abus de droit fondamental « ne trouve
às'appliquer qu'à titre exceptionnel et dans des hypothèses extrêmes »29. Le seuil
d'applicabilité est élevé30, et requiert qu'il soit « tout à fait clair que le requérant
[ait] cherché à invoquer la Convention de manière à se livrer à une activité ou à commettre
des actes qui sont manifestement contraires aux valeurs de la Convention et qui
visent à la destruction des droits et libertés qui y sont consacrés »31. En plus de ce
seuil de gravité dans l'usage, la Cour EDH introduit dans son raisonnement une
seconde lecture restrictive de la notion de l'abus de droit, qui concerne la gravité de
la restriction aux droits impliquée ainsi que la nature du droit invoqué. Elle se montre
ainsi réticente à appliquer l'article 17 directement lorsque la restriction des droits du
requérant présente une gravité considérable32 ou lorsque le droit invoqué à l'appui des
faits litigieux appelle un niveau élevé de protection33. Cette modalité d'utilisation de
la notion de l'abus de droit nous paraît faire l'erreur d'impliquer des considérations du
contrôle de proportionnalité formel - qui prend normalement pour point de départ
l'usage valide d'un droit - au stade de l'appréciation de la validité
elle-même. Autrement dit, la Cour se penche sur la question de la validité des restrictions
au droit sans avoir clairement, et préalablement, statué sur celle de savoir s'il y
avait effectivement exercice d'un droit fondamental. Cet écueil dans la jurisprudence
européenne est aussi lié à la tendance que peut avoir la Cour à dissoudre le concept de
droit subjectif dans l'intérêt social pratique34. Or, il est essentiel, afin de maîtriser la
signification des droits fondamentaux, de savoir si le fait litigieux peut effectivement
prétendre à l'application du discours de la fondamentalité. Dans un second temps seulement,
lorsqu'il est acquis que l'on a affaire à un droit fondamental, la question de la
protection juridique spéciale peut se poser. L'hypothèse défendue ici est que l'interprète
authentique aurait tout intérêt à abandonner ces lectures restrictives et alogiques
de l'abus de droit fondamental, pour utiliser, au contraire, plus clairement et plus
généralement cette notion dans son propre discours. Cela lui permettrait de désigner
formellement le caractère non valide d'un certain type de fait social qui se revendique
d'un droit fondamental. Schématiquement, il s'agit d'exposer clairement dans le langage
juridique que dans des conditions « c », un fait « f» aux propriétés «p »ne
constitue pas un droit fondamental « DF ». De sorte que si f a p dans c alors f n'est
pas DF.
364. Reprenons l'exemple de l'affaire Leroy c/France pour rendre ceci plus
concret. Pour rappel, dans cette affaire, la Cour EDH n'a pas utilisé la notion de
l'abus de droit fondamental, mais a considéré que la restriction dans la liberté d'expression
du requérant était nécessaire dans une société démocratique, donc valide. Les
juridictions nationales l'avaient effectivement reconnu coupable du délit d'apologie
29. Cour EDH [GC], 6janv. 2011, Paksas c/Lituanie, nº 34932/04, § 87.
30. Cour EDH, 12 mai 2020, Lilliendhal c/Islande (déc.), nº 29297/18, § 26.
31. Cour EDH, Perinçek c/Suisse, préc., §§ 114-115.
32. Cour EDH, Vona c/Hongrie, préc., § 36. S'agissant de la dissolution d'une association qui organisait
des manifestations et des rassemblements où les militants défilaient en formation militaire, vêtus
d'uniformes militaires, exécutant des saluts caractéristiques rappelant le mouvement nazi hongrois responsable
de l'extermination en masse des Roms en Hongrie. Au regard de la gravité de la sanction - la dissolution
d'une association - la Cour n'a pas utilisé l'article 17 dans cette affaire, mais a conclu à la nonviolation
de l'article 11.
33. Cour EDH, Pastörs c/Allemagne, préc., § 39.
34. Cour EDH, Libert c/France, préc. La Cour ne rattache pas formellement les prérogatives de l'employeur
à un droit conventionnel, et évoque seulement l'intérêt légitime qu'il a à assurer le bon fonctionnement
de l'entreprise.

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