Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 304

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
dirigé contre des personnes) est une des brèches par lesquelles peut s'introduire
un mélange des rôles »61.
Le propre d'un ordre discursif, tel que la fondamentalité, est de livrer à l'espace
délibératif inhérent à la communauté de discours les choix opérés, les valeurs privilégiées,
les faits sur lesquels peut se bâtir une discussion rationnelle, grâce à un ordre de
connaissance qui fait des fondements de la norme un objet réflexif et des moyens
normatifs une méthode constamment en train de se corriger, en vertu, nécessairement,
d'une conception juridique et démocratique de la vérité.
372. Seulement, à l'évidence, la notion de l'abus de droit conserverait ses aptitudes
normatives dans le langage de l'interprète liberticide qui instrumentalise le discours
de la fondamentalité. L'interprète authentique, tant d'un point de vue juridique
formel que matériel, peut alors être tenté d'utiliser avec parcimonie, voire pas du tout,
la notion de l'abus de droit ; et ainsi éviter d'offrir à l'interprète inauthentique des
rhétoriques liberticides « prêtes à l'emploi ». La rédaction paradoxale des sources textuelles
régionales et internationales relatives à la notion de l'abus de droit illustre la
préoccupation d'en limiter la portée62. Les travaux qui leur ont présidé témoignent
également des réticences devant le potentiel autoritaire de la notion63. En outre, la
circulation des motivations, des concepts et des raisonnements est une donnée essentielle
qui oriente et contraint l'argumentation juridictionnelle, particulièrement en
matière de droits fondamentaux. S'agissant de l'abus de droit, la prudence du juge
s'avère légitime au regard de la tentation des États, y compris au sein de l'ordre juridique
de la Convention EDH, de recourir abusivement à la notion en tant qu'instrument
supplémentaire de restriction valide aux libertés64 ou en tant que moyen d'opposition
à la recevabilité du recours65.Il n'y a rien d'original à constater que certains
61. Y. Thomas, « La vérité, le temps, le juge et l'historien », Le Débat, préc., p. 24.
62. Supra. nº 154 et s.
63. Entre autres M. Nally, qui considérait que le principe de l'abus de droit « ne pourrait être appliqué
qu'au moyen d'un appareil extrêmement coûteux et d'un maniement délicat, et sa mise en œuvre servirait
autant les ennemis de la démocratie que ses amis » (Travaux préparatoires de l'article 17 de la Convention
européenne des droits de l'Homme, préc., Rec., I, p. 216).
64. Les États parties brandissent régulièrement l'article 17 comme motif de restriction aux libertés
prévues par le texte conventionnel, notamment pour justifier des dissolutions, jugées abusives par la Cour
EDH, d'associations ou de partis politiques (cf. not. Cour EDH, Parti communiste unifié de Turquie et
a/Turquie, préc. ; Parti socialiste et a. c/Turquie, préc. ; Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP)
c/Turquie, préc. ; 10 juill. 1998, Sidiropoulos et a. c/Grèce, nº 57/1997 ; 15 avril 2009, Association de
citoyens Radko et Paunkovski c/L'ex-République Yougoslave de Macédoine, nº 74651/01). De même,
s'agissant de l'ordre juridique de l'Union européenne, la notion d'abus de droit prévue à l'article 35 de la
directive 2004/38 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et
de séjourner librement sur le territoire des États membres a pu être évoquée « de manière abusive » par les
États membres comme motif supplémentaire de restriction à la liberté fondamentale de circulation et de
séjour (CJCE, 25 juill. 2008, Metock et a. c/Ministerfor Justice, Equality and Law Reform, C-127/08).
65. Devant la propension des États à arguer d'un abus du droit au recours individuel (art. 35 § 3 a)),
la Cour EDH interprète de manière restrictive le caractère abusif des requêtes individuelles, considérant
« que la mise en œuvre de cette disposition est une " mesure procédurale exceptionnelle " , et que la notion
d' " abus " doit être comprise dans son sens ordinaire, à savoir, le fait, pour le titulaire d'un droit, de le
mettre en œuvre en dehors de sa finalité d'une manière préjudiciable (...). Sur ce dernier point, la Cour a
précisé que le " comportement abusif " du requérant qu'elle exige doit non seulement être manifestement
contraire à la vocation du droit au recours mais aussi entraver le bon fonctionnement de la Cour ou le
bon déroulement de la procédure devant elle » (S.A.S c/France, préc., § 66, nous soulignons). À ce jour,
elle utilise la notion de l'abus de droit au recours dans quatre cas de figure (15 déc. 2009, Miroļubovs et a.
c/Lettonie, préc., §§ 62-66). Premièrement, s'agissant de requêtes qui se fondent délibérément sur des faits
controuvés en vue de la tromper (5 oct. 2000, Varbanov c/Bulgarie, préc., § 36). Deuxièmement, dans des
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