Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 332

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
500. Àl'évidence, le processus compréhensif de l'assertion du destinataire n'est
pas équivalent à ce que l'on retrouve dans le langage ordinaire. L'interprète authentique
doit déterminer la signification juridique de la prétention du destinataire des
normes. La proposition de signification du droit impliqué doit alors être comprise
d'un point de vue juridique, c'est-à-dire être contextualisée par le discours juridique
et ses règles constitutives23. En ce sens, la prise en compte du contexte discursif de
l'usage détermine la signification complète24 du contenu propositionnel en droit. La
prise en compte du contexte discursif - linguistique et extralinguistique - de l'usage
est justement la fonction du concept de l'abus de droit, à travers son contrôle pragmatique
du fait litigieux. Le concept détermine la signification juridique du fait social et,
par là même, la signification du droit dans un certain contexte d'action25.
501. Si l'action conceptuelle de l'abus vise à déterminer la signification juridique
de l'usage par un même procédé dynamique de contextualisation, il peut être
envisagé, en méthode, deux étapes de ce processus cognitif:
(1) Une étape compréhensive, qui désigne l'intelligibilité première du fait social
considéré. Le contexte factuel immédiat de l'usage est alors pris en compte. En
matière de liberté d'expression, la Cour EDH s'intéresse à « la tonalité générale » du
propos, à son « sens général » au regard de son « contexte immédiat et plus général ».
Cette contextualisation factuelle immédiate oriente la signification juridique de
l'usage au sein du discours de la fondamentalité. Dans l'affaire M'Bala M'Bala c/
France déjà évoquée, le contenu,la tonalité générale et le but du « sketch » ont fait
perdre à l'événement « son caractère de spectacle de divertissement pour devenir un
meeting »26. Le régime spécialement protecteur de la liberté d'expression en matière
artistique n'était donc plus applicable. De manière générale :
«Ce n'est qu'en procédant à un examen attentif du contexte dans lequel les
propos offensants sont tenus que l'on peut établir une distinction pertinente entre
des termes choquants et insultants - qui relèvent de la protection de l'article 10 -
et ceux qui ne méritent pas d'être tolérés dans une société démocratique »27.
De toute évidence, le contexte factuel oriente l'appréhension juridique de la
situation litigieuse, si bien qu'un même fait peut, dans des contextes d'application
différents, ne pas revêtir la même signification en droit. Le caractère public ou notoire
d'une personne influe sur la protection dont sa vie privée peut bénéficier28, la liberté
d'expression n'a pas la même portée selon la personne à qui s'adressent les propos
23. Supra. nº 271.
24. P.F. Strawson, « Meaning and Context » (1970), dans Entity and Identity, Oxford, OUP, 1997,
pp. 216-231, trad. B. Ambroise dans Philosophie du langage, préc., pp. 59-79.
25. J. Habermas, Parcours 1 (1971-1989), préc., pp. 29 et s.
26. Cour EDH, M'Bala M'Bala c/France (déc.), supra nº 263.
27. Cour EDH, 8 oct. 2008, Vajnai c/Hongrie, nº 33629/06, § 53. Aussi, dans une affaire où un requérant
avait utilisé des symboles nazis pour attirer l'attention sur le traitement prétendument discriminatoire
que l'agence pour l'emploi avait réservé à sa fille, la Cour EDH a considéré que ce comportement dans un
pays comme l'Allemagne, dont l'histoire constitue un facteur de poids, justifie la déchéance du droit à la
liberté d'expression (Cour EDH, 13 mars 2018, Nix c/Allemagne (déc.), nº 35285/16). La Cour analyse
parfois le contexte des propos litigieux sous un titre spécial dans son argumentation : 2 sept. 2021, Sanchez
c/France, nº 45581/15, § 81. La Cour de cassation, de son côté, considère que pour apprécier le caractère
diffamatoire ou injurieux des propos litigieux, le juge doit se fonder « sur toutes les circonstances, même
extrinsèques », « qui sont de nature à révéler leur véritable sens » (Crim., 16 oct. 2012, nº 11-82.866 ; Crim.,
26 mai 2021, nº 20-80.884).
28. Cour EDH, Couderc et Hachette Filipacchi associés c/France, préc., § 117, supra nº 275.
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