Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 339

L'ABUS DE DROIT ET LA SIGNIFICATION DES DROITS FONDAMENTAUX
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responsabilité et s'engageant dans un processus décisionnel. Les interprètes authentiques
ne cherchent pas le sens véritable d'un énoncé juridique pour le plaisir de la
connaissance, ils ont pour fonction d'élaborer une règle afin de trancher un litige62.
L'apport cognitif est indissociable de la visée normative. La démarche de connaissance
au sein du processus normatif concret est résolument orientée vers une finalité
normative pratique. En droit, la fixation du sens s'inscrit dans la force de la
décision63.L'engagement du juge - par ses croyances sur le droit, par la conception
de sa fonction - est un élément indispensable à la compréhension du phénomène de la
fondamentalité. Un engagement qui ne peut être porté qu'à travers une conception,
même minimale, de la vérité juridique, y compris à propos des valeurs inhérentes à
l'infrastructure des droits fondamentaux64.
509. De manière générale, s'agissant du concept de l'abus de droit, l'interprète
authentique apprécie la validité d'une proposition de signification du droit au regard
de son sens véritable. Pour signifier le droit fondamental revendiqué, le juge détermine
les conditions dans lesquelles l'assertion du destinataire est vraie ou fausse
d'un point de vue juridique65.La valeur de vérité66 de l'énoncé propositionnel formulé
par le destinataire revendiquant un droit fondamental dépend effectivement de
la frontière, maniée concrètement par l'interprète authentique, entre ce qui relève du
discours de la fondamentalité et ce qui n'en relève pas. En fait, et au moyen du
concept de l'abus de droit, l'organe d'application détermine ce que les droits fondamentaux
permettent et ce qu'ils ne permettent pas. Dès lors, au sein même de l'activité
normative pratique, et du point de vue de la signification juridique, le juge est
nécessairement mû par une conception de la vérité en droit. Ce qui n'est pas anodin
en matière d'abus de droit fondamental, tant la fondamentalité est un discours qui
aspire lui-même au statut de vérité politique au sein des sociétés libérales67. Une
conception de la vérité en droit qui ne se rapporte ni aux idées poussiéreuses d'un
droit naturel omniscient ni à la simple volonté du législateur ou du constituant,
62. « La jurisprudence manifeste cependant la nécessité où se trouvent les juristes d'interrompre
régulièrement et provisoirement cette discussion pour prendre une décision en vue de régler un problème
pratique et concret » (B. Frydman, préc., p. 1819).
63. J.-F. Kervégan, « La critique schmittienne du normativisme kelsénien », Cahiers de philosophie
politique etjuridique de l'Université de Caen, 1995-27, pp. 57 et s.
64. Selon un juge à la Cour EDH, en matière de liberté d'expression : « la possibilité de réglementer
un discours du fait de son seul contenu et les restrictions ainsi apportées à ce discours reposent sur l'idée
que certains propos vont à l'encontre de l'esprit de la Convention. Mais un « esprit » ne propose pas des
standards clairs et ouvre la porte aux abus. Les êtres humains, y compris les juges, tendent à qualifier les
opinions qui ne leur conviennent pas de proprement inadmissibles et, partant, à les exclure de la sphère de
l'expression protégée. Or, c'est justement lorsque nous sommes confrontés à des idées qui provoquent notre
haine ou notre dégoût que notre jugement doit être le plus réfléchi dans la mesure où nos convictions
personnelles risquent d'influencer nos idées sur ce qui est véritablement dangereux. Lorsque des propos
passent pour avoir une valeur infime au point de ne pas nous aider dans notre quête de la vérité, cela doit
être démontré de façon indéniable et dans le cadre particulier des circonstances de l'espèce » (Opinion
dissidente dujuge A. Sajó sous l'arrêt Cour EDH, Féret c/Belgique, préc., nous soulignons).
65. « Reconnaissons, le principe cardinal que les mots peuvent seulement être éclairés en considérant
les conditions sous lesquelles les énoncés dans lesquels ils ont leur usage caractéristique sont vrais » (H.L.A
Hart, Concept ofLaw, préc., p. 47 cité par J.-Y. Chérot, « L'analyse des concepts en droit sur quatre thèses
de Hart et quelques questions », Revue de la Recherche Juridique - Droit prospectif, préc., 2013, XXXVII
(145), p. 2275).
66. D. Lewis, « Scorekeeping in a language-game », Journal ofPhilosophical language, vol. 8, 1979,
pp. 339-359, trad. D. Chapuis-Schmitz dans Philosophie du langage, préc., p. 339.
67. Supra. nº 74.

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