Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 372

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
de la société démocratique39, leur irréductible indétermination devrait ruisseler, symboliquement
et logiquement, sur le droit positif dans son ensemble. Le phénomène de
la fondamentalité a été décrit comme un processus significatif continu ; le fondement
est alors ce qui détermine les orientations, le sens des droits dans une perspective
normative40. Une autre manière de le dire est qu'en matière normative, le fondement
est la finalité. Il n'est pas étonnant, dès lors, qu'en cette « matière des droits fondamentaux,
on ait l'impression de toujours avancer en cercles »41.
552. La spécificité du discours de la fondamentalité est de porter une justification
existentielle de l'ordre juridique au sein du processus normatif concret. La dynamique
discursive des droits fondamentaux mobilise les exigences axiologiques, tout
en les astreignant à une structure logique et argumentative proprement juridique42.Le
concept de l'abus de droit, en tant qu'il oriente le sens de la fondamentalité, témoigne
de la manière dont ce discours du fondement fait intervenir des valeurs objectives43
ainsi que des exigences intersubjectives pratiques au sein d'une communauté de droit.
À partir de l'usage d'un droit allégué, la communauté d'interprétation de la fondamentalité
est amenée à dialoguer sur le sens de ce discours. Le discours des droits
fondamentaux s'apparente à une œuvre contractualiste concrète. Les choix d'existence
exprimés par des droits, et soumis à la raison juridique, sont sans cesse questionnés,
problématisés, réfléchis. Caractéristique du discours, la fondamentalité est
argumentative et réflexive par nature. Outre la nécessaire axiologie des fins, c'est
donc une méthode qui est au fondement du droit44.
553. Le fondement méthodique du discours juridique, incarné partiellement par
le concept de l'abus de droit fondamental, ne doit pas être réduit trop rapidement à
l'abstraction, et donc à l'idéalisation de la question du fondement. En vérité, les droits
39. Pour la Cour EDH encore, « la liberté d'expression constitue l'un des fondements d'une société
démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun » (Handyside
c/Royaume-Uni, préc., § 49).
40. Conformément à lecture sémiotique peircienne, le fondement déterminera la traduction de signes
juridiques en d'autres signes juridiques pour le besoin de l'activité normative pratique.
41. P. Ferreira Da Cunha, Droit et récit, 2003, Dikè, p. 87.
42. Comme le droit, la nature du discours de la fondamentalité est logique. Pour E. Picard, « le vrai
droit se présente moins comme un contenu préétabli, que comme une démarche rationnelle et axiologique
propre à découvrir des principes et des contenus normatifs devant s'appliquer hic et nunc car ce sont eux
qui, tout bien considéré, apparaissent comme le plus raisonnablement propres à régir convenablement et
justement telles situations en cause » (« L'état du droit comparé en France, en 1999 », préc., p. 914).
43. On l'a vu, les valeurs explicitement et actuellement protégées par l'article 17 de la Convention
EDH sont : la justice et la paix, le caractère démocratique des régimes politiques, le règlement pacifique des
conflits internationaux, le caractère sacré de la vie humaine, la tolérance, la paix sociale et la non-discrimination,
l'égalité entre les hommes et les femmes, la coexistence, hors de toute ségrégation raciale, des
membres composant la société (supra nº 167).
44. Sur ce point, la lecture discursive de la fondamentalité n'est pas bien éloignée de l'exigence pure
transcendantale au fondement du normativisme kelsennien. Selon l'analyse lumineuse de F. Goyard-Fabre :
« dans l'œuvre de Kelsen, la problématisation importe davantage que la réponse : l'auteur de la théorie pure
du droit, cherchant à saisir ce qui fonde la validité de tout ordre juridique positif, est en quête de la loi
même de la pensée dont le projet est de faire pénétrer la normativité pure qu'exige la raison dans la diversité
et la contingence de l'expérience. L'idée normative que condense la présupposition de la " constitution originaire
hypothétique " s'incorpore dans le flux de l'empirie pour instituer le droit positif dans l'entre-deux
du désordre spontané de la vie (le Sein) et du besoin d'ordre de la raison (le Sollen). Ainsi tout système
juridique manifeste-t-il le pouvoir synthétique de liaison qui est par excellence la fonction transcendantale
de l'esprit. Reconnaître que la condition de possibilité de l'ordre juridique appartient à un horizon transcendantal
est une question de méthode et de problématique, non de métaphysique et d'idéologie » (Les
fondements de l'ordre juridique, préc., pp. 368-369).

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