Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 374

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
libertés. Avec le constitutionnalisme moderne, ces droits sont inscrits dans des constitutions
nationales et des déclarations internationales, sous le contrôle des juges. L'ambiguïté
se dessine, la liberté juridique n'est la règle que fixée par le droit, en tant que
discours objectif.
556. Le discours de la fondamentalité institue ainsi le dialogique dans la
conception juridique de la liberté. La faculté normative du destinataire témoigne de
ce que l'objet d'un droit n'est pas absolument fixé, il ne renvoie pas à une représentation
statique et parfaitement établie, mais est au contraire discuté au sein de la communauté
d'interprétation juridique, sous fond d'un imaginaire discursif commun. Le
discours des droits fondamentaux, au fondement de l'ordre juridique, s'appuie effectivement
sur un consensus d'arrière-plan de la communauté d'interprétation à propos
des valeurs qu'elle entend partager52.L'impulsion normative individuelle est-elle de
nature à remettre en cause ce consensus minimal53 qui fonde le droit positif? L'action
conceptuelle de l'abus de droit a déjà montré en quoi cette représentation d'un individualisme
débridé par les droits fondamentaux devait être grandement relativisée. La
contextualisation pragmatique d'une prétention normative intègre les exigences de
l'entente intersubjective au sein même de la signification d'un droit. Si le droit fondamental
peut être au départ une prétention individuelle, mais aussi collective, celle-ci
est nécessairement appréciée, de l'intérieur en droit, au regard des règles constitutives
du discours de la fondamentalité dans son ensemble. Du reste, l'intérêt porté par la
prétention individuelle n'est pas nécessairement et absolument privé ou égoïste, il
peut aussi consister en une véritable « orientation axiologique (...) dès lors que d'autres
sujets le partagent dans des situations analogues »54. La volonté individuelle peut
porter en droit des intérêts généralisables. En tout état de cause, le processus de signification
d'un droit fondamental internalisera l'équilibre juridique entre la revendication
particulière et la préservation du consensus politique d'arrière-plan sur le sens de
l'ordre juridique. Les expressions de l'identité privée sont amenées à être formulées
dans le langage structurel de l'ordre juridique et de la communauté politique. En ce
sens, le discours de la fondamentalité fait société.
557. Pour autant, l'objectivité logique de la fondamentalité, en tant que discours
structurel de la société politique, est complexe55, dynamique et réflexive. Il est certain
52. Au sein de l'ordre juridique de l'Union européenne, le Préambule de la CDFUE énonce : « Consciente
de son patrimoine spirituel et moral, l'Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de
dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le
principe de l'État de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de
l'Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice ». De même, l'article 2 du TUE prévoit
que « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité,
de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes
appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée
par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et
les hommes ». Enfin, l'article 21 § 1 de ce traité dispose que « L'action de l'Union sur la scène internationale
repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et
qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité
des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes
d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international ».
53. J. Habermas, J. Rawls, Débat sur la justice politique, préc.
54. J. Habermas, J. Rawls, Débat sur la justice politique, préc., p. 153.
55. Une complexité qui n'est pas propre au phénomène juridique. Pour P. Legendre, « on aperçoit
ainsi qu'à travers la question du fondement, jouent plusieurs niveaux de discours, que la tradition occidentale,
comme toute tradition, nous met sous les yeux : le niveau posant la rationalité qui fonde les
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