Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 60

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
fait prévaloir l'individu sur le groupe, et la liberté sur l'ordre social.
V. Champeil-Desplats33 et G. Peces-Barba34 ont considéré les caractéristiques essentielles
de cette conception naturelle des droits. Comme le mentionne la DDHC, ce
sont des droits réputés universels, inaliénables, imprescriptibles et indisponibles. Ils
appartiennent à l'humanité, à l'Homme parce qu'il est Homme, sans lesquels il ne
saurait exister sans cesser d'être ce qu'il est35. Ces droits sont prétendument antérieurs
àl'institutionnalisation du pouvoir, l'État est tenu d'agir aux fins de leur préservation.
À cet égard, les droits de l'homme sont aussi empreints de philosophie volontariste et
contractualiste. Ils insinuent que la société politique, structurée autour de la séparation
des pouvoirs, est le fruit de la volonté individuelle. Le discours des droits de l'homme
s'érige en rempart contre le pouvoir arbitraire, ce qui explique sa concentration première
autour de la liberté individuelle, souvent envisagée par l'allégorie de la sphère
privée. Un état imperméable aux ingérences de la puissance publique, qui rapproche
la liberté individuelle de la propriété privée. Nous le verrons, cette conception naturaliste
de « droits-propriétés » a largement contribué aux malentendus théoriques qui
sous-tendent la notion de l'abus de droit.
63. Le discours des droits de l'homme postule donc une liberté naturelle de
l'individu36, déduite d'une axiomatique objective surplombant l'ordre juridique et
constituée d'idéaux universels sur l'existence et la justice. L'universalité des droits
de l'homme comprend en réalité trois dimensions37. Une universalité des destinataires
(l'humanité tout entière), une universalité de la source (autorité de la raison), et
une universalité du contenu (les conditions de légitimité de toute société politique).
Bien que les représentations avancées soient vagues, elles relèvent, pour les révolutionnaires
en 1789, de l'évidence intuitive38. Le terme « déclaration » signifie bien la
seule recognition de droits préexistants39.C'est toute la force performative des droits
de l'homme, ils n'existent pas en dehors du discours qui les institue sous la forme
prétendue d'une reconnaissance. La DDHC, « esprit objectif»40 de son temps,
exprime clairement une assimilation des fondements de l'ordre social à un ordre naturel.
Un ordre social nouveau et forgé par la loi, expression de la volonté générale. La
« Quelques réflexions sur les droits de l'Homme et l'Antiquité » dans Stoïcisme antique et droit naturel
moderne V. Laurand et J. Terrel (dir.), Presses Universitaires de Bordeaux, 2003, nº 1, pp. 131 et s.) ou par
l'exercice de la liberté politique (not. G. Ténékidès, « La Cité d'Athènes et les droits de l'homme », dans
Protecting Human Rights : the European Dimension. Studies in honor ofGérard J. Wiarda, Carl Heymans
Verlag, 1988, pp. 605-638).
33. V. Champeil-Desplats, Théorie générale des droits et libertés, préc., p. 30.
34. G. Peces-Barba, Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, 2004, pp. 105 et s.
35. J. Bentham, Traités des sophismes politiques..., préc., p. 251.
36. La Déclaration des droits de l'État de Virginie (1776) débute par l'affirmation « Que tous les
hommes sont nés également libres et indépendants, et qu'ils ont certains droits inhérents dont ils ne peuvent,
lorsqu'ils entrent dans l'état de société, priver ni dépouiller par aucun contrat leur postérité : à savoir
le droit de jouir de la vie et de la liberté, avec les moyens d'acquérir et de posséder des biens et de chercher
à obtenir le bonheur et la sûreté ».
37. F. Guénard, La Démocratie universelle. Philosophie d'un modèle politique, Seuil, 2016, 368 p.
38. Ainsi pour le député Gouges-Cartou, les déclarations de droits doivent « faire apercevoir la
chaine qui les lie à ces vérités fondamentales qui, semblables aux axiomes des géomètres, se présentent à
l'esprit dans le dernier degré de l'évidence » (Projet de déclaration, août 1789 cité par S. Rials, La déclaration
des droits de l'Homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988 p. 703).
39. D. Lochak, préc., p. 19.
40. D'après le concept hégélien (M. Bienenstock, « Qu'est-ce que " l'esprit objectif " selon Hegel ? »,
Revue germanique internationale [En ligne], 15/2001).
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