Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 65

L'INFRASTRUCTURE DU DISCOURS DE LA FONDAMENTALITÉ
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représentation du monde qu'il prétend instituer. Ces temps contradictoires se retrouvent
aujourd'hui au sein du bloc de constitutionnalité français, sans que celui-ci ne
précise les modalités de résolution des conflits normatifs impliqués. Entre abstention
et prestation, les droits de l'homme ne demandent pas la même chose à l'État et font
jouer au discours juridique un rôle différent67. Un rôle à vrai dire ambigu, et en dernière
analyse instrumental, lorsque les régimes politiques qui proclament les droits de
l'homme se montrent schizophrènes. À l'image de la IIIe
République, capable de proclamer
les libertés publiques comme les « lois scélérates »68,l'égalité des citoyens et
l'inégalité des races. Et finalement que peut le discours juridique et ses concepts
constitutifs, que reste-t-il au discours des droits de l'homme, à part un état d'esprit
combatif, lorsque le fascisme gouverne les masses et s'empare des institutions69 ?
L'abus ici est fonction des dynamiques historiques, politiques et sociales.
67. L'histoire des droits de l'homme, comme celle des régimes politiques, n'est
bien sûr pas linéaire, mais la cohérence de son discours ne peut être exagérément relativisée.
Ces droits formulent un projet politique et philosophique qui fixe un certain rapport
au pouvoir, à la liberté, à l'égalité, ou encore à la sûreté. Ils soumettent aux interprètes
du discours de la fondamentalité une manière de penser l'existence sociale, en
postulant de façon claire la prééminence logique et morale de la liberté individuelle et
de l'égalité des êtres humains dans le bénéfice de droits inaliénables. À cet égard, les
théories politiques contemporaines n'ont que peu évolué. Cela ne veut pas dire que le
discours des droits de l'homme est endigué. Il continue au contraire à se façonner du
combat contre les abus constatés, les abus de domination70,les abus de pouvoir,mais
et les nouveaux droits sociaux et économiques ne peuvent pas être assurés en même temps et sont en fait
incompatibles : les nouveaux droits ne pourraient être traduits dans les lois contraignantes sans du même
coup détruire l'ordre de liberté auquel tendent les droits civils traditionnels » (Droit, Législation et Liberté
[1973-1979], PUF, 1995, p. 124 cité par ibid., p. 80).
67. En ce sens, J. Rivero eut souligné que « la satisfaction des droits de créance laisse (...) à l'État un
pouvoir d'appréciation discrétionnaire extrêmement large, de telle sorte que l'objet du droit reste pratiquement
indéfini jusqu'à ce que le législateur ait procédé aux choix nécessaires. Rien de tel lorsqu'il s'agit des
libertés, à l'égard desquelles les obligations de l'État sont simples et définies, puisqu'elles se ramènent à
une abstention. Enfin, la satisfaction des pouvoirs d'exiger suppose, de fait, un certain niveau de développement.
Beaucoup plus que la mise en œuvre des libertés, elle est étroitement dépendante des ressources
dont l'État peut disposer, ce qui accuse encore le caractère virtuel et relatif de ces droits. Ainsi libertés et
créances ne relèvent pas, en ce qui concerne leur mise en œuvre, des mêmes techniques juridiques » (Libertés
publiques,9e
éd., PUF, 2003, pp. 90-91 cité par ibid. ; cf. égal. D. Roman, « La justiciabilité des droits
sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit social », Revue des droits de l'homme [en ligne],
janv. 2012).
68. Selon la qualification de l'opposition de gauche face à l'adoption par les républicains des lois
liberticides du 12 et 18 décembre 1893 et du 28 juillet 1894.
69. Et que font les juristes durant les heures les plus sombres de l'histoire de France ? Lorsque nombre
d'entre eux, « sous l'Occupation, se sont mis à faire du droit antisémite, comme l'on fait du droit civil
ou du droit administratif, classifiant, distinguant, et interprétant des normes en faisant totalement abstraction
de leur contenu » (D. Lochak, « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme » dans Les
usages sociaux du droit, CURAPP-PUF, 1989, pp. 254-255 citant J. Marcou, Le Conseil d'État sous Vichy,
Thèse, Université de Grenoble II, 1984).
70. Comme au moment de la Déclaration d'indépendance des États-Unis, laquelle énonce, le 4juillet
1776 : « Prudence, indeed, will dictate that Governments long established should not be changed for light
and transient causes ; and accordingly all experience hath shewn, that manking are more disposed to suffer,
while evils are sufferable, than to right themselves by abolishing the forms to which they are accustomed.
But when a long train ofabuses and usurpations, pursuing invariably the same Object evinces a design to
reduce them under absolute Despotism, it is their right, it is their duty, to throw off such Government, and
to provide new Guards for their future security » (nous soulignons).

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