Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 82

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
idéal, au même titre que le discours des droits de l'homme lui-même. L'universalisme est
inhérent aux droits de l'homme en tant que « principe incontournable et immédiat
d'interprétation et de mise en œuvre »197. Pour remédier à l'antagonisme apparent entre
l'universalisme revendiqué et les protections disparates des droits de l'homme à travers
le monde, sans doute faut-il réinterroger la signification de l'universalité au sein du discours
des droits de l'homme. En réalité, celle-ci ne peut être appréhendée que par une
recomposition de l'idéal universel au sein du particularisme des sociétés. La réalisation
des droits de l'homme suppose effectivement un universalisme concret, qui ne transcende
pas seulement les frontières des ordres juridiques, mais qui est surtout postulé en
leur sein. Les violations flagrantes des droits de l'homme commises à travers le monde,
et pas seulement à l'étranger, ne doivent pas renvoyer à l'inconnu les conséquences normatives
et procédurales de l'universalité en droit. Ne serait-ce que parce que la fondamentalité
s'applique à tous, et que des règles juridiques spécifiques, en constante augmentation,
garantissent l'égalité et la non-discrimination, directe ou indirecte, tandis que
les structures légales des institutions pourvoyeuses de droits en assurent l'égale accessibilité.
L'universalisme en droit se concrétise également par les sources normatives européennes
et internationales des droits de l'homme, interprétées par des autorités, notamment
juridictionnelles, qui entreprennent leur rapprochement matériel198. Les systèmes
de protection régionaux en particulier contribuent de manière décisive à l'effectivité
des droits. Leurs interprètes privilégiés se réfèrent les uns aux autres, bâtissant ainsi un
arc de protection matérielle transrégional, conformément à l'idéal universaliste des droits
de l'homme199. Dès lors, une appréciation élémentaire de l'universalité, encore portée
par nombre d'interprètes du discours des droits de l'homme, nourrit une critique sévère
à son égard, celle d'une dichotomie inacceptable entre « discours » et « réalité ». Là
encore, l'opposition frontale ne resitue pas bien la dynamique discursive, selon laquelle
les droits de l'homme projettent leur propre réalité, avec tout ce qu'elle peut avoir
d'idéale et de force d'engagement. L'idéal de l'universel guide les concepts de la fondamentalité
; et cela vaut évidemment, nous le verrons, pour l'abus de droit
fondamental200. Un universalisme stipulé, en perpétuelle construction, mais qui produit
ainsi des conséquences concrètes en droit positif.
87. L'universalisme des droits de l'homme n'est pas seulement dénigré du point
de vue de son effectivité. La critique à son encontre est en fait plus robuste lorsqu'elle
s'intéresse aux conditions de validité du discours, aux termes d'une interprétation philosophique
de l'histoire. Ainsi, il est incontestable que la construction du discours des
droits de l'homme s'est opérée par ruptures201, au gré des revendications politiques,
des évolutions sociétales, et des revirements de jugements éthiques. La teneur du discours
dépendant des conditions politiques et sociales de sa production, l'universalité
est une vertu reconstruite pour les droits de l'homme qui est apparue de manière
197. P. Meyer-Bisch, Le corps des droits de l'homme : l'indivisibilité comme principe d'interprétation
et de mise en œuvre des droits de l'homme, Fribourg, Éditions universitaires, 1992, p. 18.
198. Comme en témoigne l'existence d'une discipline Droit international et européen des droits de
l'Homme (not. F. Sudre, L. Milano, H. Surrel, Droit international et européen des droits de l'homme, PUF,
14e
, 2019, 1014 p.).
199. Et sans doute aussi, un certain imaginaire de l'Humanité. Pour H. Arendt, c'est « l'idée d'humanité
qui constitue la seule idée régulatrice en termes de droit international », L'impérialisme. Les Origines
du totalitarisme, t. 2 (1982), Points, 2010, p. 66.
200. Infra. nº 286 et s.
201. V. Champeil-Desplats, Théorie générale des droits et libertés, préc., pp. 93 et s.

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