Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 72 - La consommation de l'infraction - 223

LA CONSOMMATION, FIN DU PROCESSUS DE CONSTITUTION DE L'INFRACTION
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condition nécessaire et suffisante pour démontrer l'existence de l'intention89.Le
domaine de l'imprudence couvrirait toutes les hypothèses où l'agent n'aurait pas eu
la volonté d'une des composantes de l'infraction90. En revanche, si l'intention doit, a
minima, porter sur l'ensemble de la matérialité infractionnelle, rien ne semble interdire
qu'elle puisse la dépasser. Un certain nombre d'infractions reposent sur l'incrimination
d'un état d'esprit de l'agent dépassant l'adhésion à la simple matérialité.
L'abus de biens sociaux, par exemple, exige non seulement que le dirigeant ait usé
d'un bien de la société dans un sens contraire à l'intérêt de celle‑ci, mais aussi qu'il
ait recherché, par cet usage, un intérêt personnel91. De même, l'article 222‑33, II du
Code pénal incrimine le fait d'user de toute forme de pression grave « dans le but »
d'obtenir des faveurs sexuelles. Il faut que l'agent ait voulu obtenir ces faveurs
sexuelles, sans que leur obtention effective soit nécessaire à la consommation du
délit. Il ressort encore des articles 225‑1 et 225‑2 du même code que constitue une
discrimination, notamment, le refus de fourniture d'un bien à une personne en raison
d'un motif discriminatoire. Non seulement l'agent doit adhérer à l'acte (le refus de
fourniture du bien) mais il doit aussi être animé d'une motivation bien précise.
Deux composantes générales de l'intention peuvent donc être identifiées. Elle requiert
systématiquement un dol général, qui correspond à l'adhésion psychologique de l'auteur
à l'ensemble de la matérialité infractionnelle. Le cas échéant, elle se compose en
plus d'un dol spécial, qui consiste en l'incrimination d'un mobile particulier que doit
89. La Cour de cassation ne s'y trompe pas, lorsqu'elle affirme régulièrement que « la seule constatation
de la violation en connaissance de cause d'une prescription légale ou réglementaire implique, de la
part de son auteur, l'intention coupable exigée par l'article 121‑3 alinéa 1 du Code pénal » (v. par ex.
Cass. crim., 30 oct. 1995, nº 94‑83.386, Bull. crim. nº 335, RSC 1996, p. 645, obs. B. BOULOC ; 22 mars
2016, nº 15‑84.949, Bull. crim. nº 98, RSC 2016, p. 288, obs. J.‑H. ROBERT). Des critiques se sont élevées
àl'encontre d'une telle solution (v. not. J.‑H. ROBERT, op. cit., p. 319). Elle ferait survivre les anciens
délits « matériels », condamnés par l'article 121‑3 du Code pénal et l'article 339 de la loi d'adaptation du
16 décembre 1992. Elles paraissent exagérées en raison de leur caractère général (en ce sens, v. not.
J.‑Y. MARÉCHAL, « Élément moral de l'infraction », J.‑Cl. pén., art. 121‑3, fasc. 20 ; M. PRALUS,
« Réflexions autour de l'élément moral des délits », Dr.pén. 2002, chron. nº 41). Une telle formule se
retrouve généralement s'agissant d'infractions techniques. Il est reproché à l'agent d'avoir exercé une activité
particulière sans respecter toutes les règles ou formalités qui s'imposaient à lui. Dans l'arrêt du 22 mars
2016 par exemple, le prévenu était poursuivi sur le fondement de l'article L. 173‑1, I du Code de l'environnement.
Cette disposition incrimine notamment l'exercice de certaines activités sans l'autorisation administrative
nécessaire. L'intention se résume alors à la volonté d'exercer l'activité malgré l'absence d'autorisation.
Or, l'agent est présumé connaître la loi : il est donc présumé savoir que l'exercice de l'activité
nécessitait une autorisation préalable. L'intention se limite de facto à la constatation du libre‑arbitre de
l'agent au moment de l'exercice de l'activité. Ainsi, si la critique peut éventuellement porter sur la rigueur
de la présomption de connaissance de la loi, elle ne saurait porter sur la teneur de l'intention. De fait, dans
les délits dits techniques, l'intention se résume à la seule constatation de la violation en connaissance de
cause des prescriptions légales.
90. L'imprudence englobant la faute délibérée. L'article 121‑3 distingue certes formellement le « délit
de mise en danger délibérée de la vie d'autrui » de la faute d'imprudence délibérée. Toutefois, l'alinéa 4,
qui se réfère directement à l'imprudence délibérée, concerne en réalité les hypothèses où un dommage a été
causé. L'agent n'a pas voulu le dommage, mais il a délibérément commis la faute à l'origine de ce dommage.
Le délit de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, au contraire, se trouve constitué lorsqu'aucun
dommage corporel n'a été causé. Voilà qui explique la scission formelle. La disposition d'esprit de l'agent
ne paraît pas différente dans ces deux cas. En outre, le deuxième alinéa de l'article 121‑3 est séparé du
premier par la locution « toutefois ». C'est que le délit de mise en danger délibéré de la vie d'autrui n'exige
pas que l'auteur ait su qu'il exposait autrui à un risque. Il suffit qu'il ait voulu commettre la faute. Ledit
délit est donc bien extérieur au domaine de l'intention, puisque l'agent n'a pas nécessairement adhéré psychologiquement
à l'ensemble de la matérialité infractionnelle.
91. V. not. A. LEPAGE, H. MATSOPOULOU, Droit pénal spécial, op. cit., nº 817, p. 583.
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