Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 166 - Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958 - 237

LA RÉCEPTION DE L'INTERPRÉTATION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
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475. Par ailleurs, cette pratique remet en cause la théorie de l'autorité " persuasive "
ou " morale " . Les tenants de cette doctrine considèrent qu' « en dehors du cas où
la chose jugée par une décision déploie ses effets contraignants, la jurisprudence du
Conseil constitutionnel bénéficie d'une autorité morale »93. Ainsi, dans ce cas, tout
reposerait sur la volonté des destinataires de la jurisprudence constitutionnelle. Il
appartiendrait « aux autorités administratives et aux autorités judiciaires de décider
souverainement, s'ils observent ou non l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel
à la Constitution et à la loi »94.
476. Cette dualité entre « autorité de chose jugée » et « autorité morale » est discutable.
Sa pertinence se vérifie dans l'absence de principe juridique instituant l'autorité
de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel. De ce point de vue, les destinataires
de la jurisprudence constitutionnelle sont libres de toute contrainte juridique
en dehors du champ de l'autorité de chose jugée, et donc concernant l'interprétation
du Conseil constitutionnel. Mais cette conclusion n'est valable que parce qu'il
n'existe pas de principe juridique de l'autorité de la chose interprétée par le Conseil
constitutionnel. Elle ne signifie pas l'absence de toute autorité juridique de l'interprétation
constitutionnelle au regard de la pratique. La persuasion implique que les
pouvoirs publics et les autorités juridictionnelles n'adhèrent à l'interprétation du
Conseil constitutionnel que par conviction, en dehors des cas où l'effet préventif est
de mise95.
477. Au demeurant, il faut distinguer l'adhésion simple de la soumission. Il est
possible d'adhérer à l'interprétation du Conseil constitutionnel sans y faire explicitement
référence. En revanche, lorsque le Conseil d'État, par exemple, mentionne une
décision du Conseil constitutionnel dans les visas ou dans les motifs de sa décision
pour exploiter son interprétation, il ne s'agit plus là d'un simple effet persuasif de la
jurisprudence constitutionnelle en dehors de la chose jugée. À partir de ce moment, la
chose interprétée par le Conseil constitutionnel devient une source de droit. Dans les
visas d'une décision juridictionnelle, ce sont les normes de référence qui sont mentionnées.
Or, il apparaît que l'on ne se réfère pas à la jurisprudence constitutionnelle
uniquement dans le sens de l'autorité de chose jugée. Les exemples ci-dessus montrent
que l'exploitation juridique des décisions de constitutionnalité concerne aussi
l'interprétation. Cette pratique de la juridiction administrative suprême accorde une
valeur juridique à l'interprétation du Conseil constitutionnel.
478. De ce fait, la question de la contrainte ou de l'autorité se pose autrement. Il
est souvent dit que les juridictions ordinaires suprêmes ne s'estiment pas juridiquement
liées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en dehors de l'autorité de
la chose jugée. Cette translation de l'interprétation prouve le contraire. On peut se
demander s'il est possible qu'une juridiction mentionne un acte dans les visas et les
motifs de sa décision lorsqu'elle ne s'estime pas juridiquement liée par cet acte. Il
peut ne pas exister une règle juridique imposant le respect de l'interprétation du
93. B. Genevois, « Le commissaire du gouvernement devant le Conseil d'État statuant au contentieux
ou la stratégie de la persuasion », art. cité, p. 1212.
94. M. Verpeaux, « Contrôle de constitutionnalité des actes administratifs : compétence juridictionnelle
», Répertoire de contentieux administratifDalloz, janvier 2011 (mise à jour : mars 2014).
95. Par exemple, lorsque les destinataires de la jurisprudence constitutionnelle se soumettent à l'interprétation
du Conseil constitutionnel sous la menace d'une sanction. Ainsi, le gouvernement qui dépose un
projet de loi veillera à respecter l'interprétation du juge constitutionnel afin de réduire les risques d'inconstitutionnalité
du texte.

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