Précis Domat - Droit des biens - 6e - 106

DROIT DES BIENS
constituant a complètement cessé d'être propriétaire. Pour autant, le fiduciaire ne
recueillerait qu'une propriété diminuée par le fait même de son affectation.
112 La propriété fiduciaire est-elle une propriété affectée ? - La fiducie est couramment
décrite comme donnant naissance à une forme de propriété particulière
dans le patrimoine du fiduciaire275
doublement de celle de l'article 544. D'une part, elle est une propriété nécessairement
temporaire. L'article 2018 2o
« ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans »276
. Dans cette analyse, cette propriété se distingue
dispose très clairement que la durée du transfert
. Or la propriété ad tempus induit
94 s.). D'autre part, la pronécessairement
une restriction des pouvoirs du propriétaire, lequel doit respecter la
substance de la chose, à peine de déchéance (supra no
priété fiduciaire ne confère à son titulaire que des pouvoirs par essence limités dès
l'instant qu'elle est une propriété affectée à la réalisation d'un but précis. Loin
d'avoir la liberté du propriétaire ordinaire, souverain absolu de sa chose, le propriétaire
fiduciaire ne peut avoir sur elle que les prérogatives compatibles avec le but
qui lui a été assigné. En d'autres termes, la propriété fiduciaire est une propriété
limitée à la fois dans sa durée et dans les prérogatives qu'elle confère.
Cette analyse est contestable. Certes, le caractère temporaire de la propriété fiduciaire
paraît difficilement pouvoir être nié au premier abord : l'article 2018 2o
est formel.
Pourtant, le fiduciaire peut en principe aliéner les biens qui lui ont été transférés.
Or, contrairement à un propriétaire à terme, la propriété qu'il transmet au tiers n'est
jamais affectée par ce terme, son ayant cause obtenant une propriété pure et simple.
Si la règle nemo plus juris... aun sens, c'est que la propriété du fiduciaire, contrairement
aux apparences, n'est pas temporaire. Quant à l'idée selon laquelle elle ne
conférerait que des utilités limitées au fiduciaire, cela en flagrante opposition avec
l'absolutisme de la propriété de l'article 544, il est faux de vouloir y voir une altération
réelle du droit de propriété. Celui-ci est intrinsèquement entier et ce n'est que de
manière extrinsèque que le contrat borne les initiatives du fiduciaire. En d'autres termes,
la relation du fiduciaire à la chose est la même que celle de n'importe quel
propriétaire. Ce n'est qu'au titre d'obligations personnelles277
qu'il s'est engagé
envers le constituant et dans l'intérêt du bénéficiaire à ne pas faire usage de certaines
d'entre elles et ce n'est qu'à ce titre que la violation du contrat de fiducie est
■ 275. Par ex., B.MALLET-BRICOUT, « Fiducie et propriété », Mél. Larroumet, Economica, 2010, p. 297 s.,
nº 11-13. - C. BERGER-TARARE, Le fiduciaire défaillant. Regards croisés en droit des biens et en droit des
obligations, LGDJ, 2015, nº 189 s.
■ 276. La fiducie française s'éloigne par là du modèle anglo-saxon qui autorise des charitable trusts
affranchis des rules against perpetuities.
■ 277. Obligations que les parties doivent définir dans le contrat de fiducie à peine de nullité (C. civ.,
art. 2018 6º), ce qui est excessif car si la définition d'une mission est de l'essence même de l'institution,
la détermination des pouvoirs du fiduciaire dans l'acte constitutif ne s'impose pas réellement. Le fiduciaire
n'est pas un mandataire dont il conviendrait de définir les pouvoirs mais un propriétaire qui, comme tel, a la
chose en sa pleine maîtrise. Quoi qu'on ait pu le soutenir (C. KHUN, « La mission du fiduciaire », Droit et
patr. juin 2008, p. 52 s., spéc. p. 55) ces obligations n'ont aucun caractère réel.
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