Précis Domat - Droit des biens - 6e - 136

DROIT DES BIENS
pas faire). Au terme de cette analyse, les droits réels sont ramenés à une obligation
passive universelle.
147 Critique des doctrines personnalistes. - La critique de cette conception n'est
plus à faire et elle ne trouve plus aujourd'hui de défenseurs. Certes il est incontestable
que le droit subjectif, qu'il soit réel ou personnel, n'a de sens que par rapport
àd'autres individus. Cette altérité, le droit personnel la requiert dans sa structure
même, mais elle se trouve tout autant présente pour les droits réels, sans qu'il soit
nécessaire de leur dénier leur identité spécifique de droit sur la chose. Si le droit
réel et le droit personnel se distinguent au plan de leur structure interne, le premier
portant sur une chose, le second sur une personne, ils se rejoignent en revanche au
plan de leur structure externe : ils sont pareillement opposables erga omnes,en ce
sens que quiconque est tenu de les respecter (supra no
138 s.). Le vice qui infecte la
théorie personnaliste est d'avoir confondu l'opposabilité des droits avec l'idée
d'obligation et ainsi mis indûment sur le même plan la dimension interne du droit
personnel et externe du droit réel.
Non sans paradoxe, c'est finalement pour être restée fidèle au dogme classique
faisant de l'opposabilité erga omnes la caractéristique des seuls droits réels (alors
qu'elle est inhérente à la notion même de droit subjectif) que la doctrine personnaliste
échoue dans sa remise en cause.
148 Exposé de la doctrine néo-personnaliste. - La doctrine personnaliste a trouvé
un renouveau inattendu sous la plume de Ginossar62
.Il n'est pour lui plus question
de nier que tous les droits, qu'ils soient réels ou personnels, sont opposables erga
omnes. Il convient aussi que le droit de propriété n'a nullement une structure
interne de type obligationnel : il met effectivement en rapport le sujet avec un
objet et non une personne. Mais cette concession faite pour la propriété, l'auteur
refuse de l'étendre aux autres droits réels. Alors qu'il est impossible d'identifier
un rapport interpersonnel pour le droit de propriété, un tel rapport existe toujours
dans les autres droits réels dont le titulaire est nécessairement en rapport direct avec
le propriétaire de la chose. Ainsi, la constitution d'un usufruit met aux prises deux
individus : l'usufruitier et le nu-propriétaire et il est possible d'en dire autant de
n'importe quel autre droit réel pour la simple raison que ceux-ci ne sont jamais
que des droits sur la chose d'autrui. L'obligation réelle, connue de longue date
pour expliquer la transmission de certaines obligations accessoirement au transfert
d'un bien (supra no
130 s.) devient dans cette analyse l'autre face du droit réel :
l'usufruitier est titulaire d'une créance réelle contre le propriétaire, lequel est réciproquement
débiteur d'une obligation réelle (propter rem) à son endroit.
L'auteur en arrive donc à la conclusion que tous les droits subjectifs (réels, personnels,
intellectuels) sont, à l'image du droit personnel, bâtis sur le modèle d'un
rapport entre individus, à l'exception notable du droit de propriété. L'inélégance
d'une classification duale des droits dont le premier genre n'aurait qu'un représentant,
la propriété, tandis que le second embrasserait tous les autres, conduit alors
Ginossar à les situer sur des niveaux différents. La propriété devient le rapport
■ 62. La thèse de S. GINOSSAR est exposée dans un ouvrage assez bref (200 p.) intitulé Droit réel, propriété
et créance. Élaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, LGDJ, 1960.
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