Précis Domat - Droit des biens - 6e - 327

LES CHOSES MOBILIÈRES ET IMMOBILIÈRES
de toutes les utilités que la chose corporelle ainsi délimitée est à même de lui fournir,
mais seulement de celles-ci. Il ne saurait en principe prétendre user d'utilités
provenant d'un bien appartenant à autrui. Cette répartition des utilités offertes par
les choses selon ce critère corporel est fruste. Certaines utilités offertes par un terrain
sont parfois indispensables au propriétaire de l'immeuble voisin : l'exemple du
passage en cas d'enclave le montre suffisamment. Même sans être indispensables,
elles peuvent être particulièrement utiles à une exploitation optimale du fonds.
D'où la possibilité offerte par le droit de redéfinir l'objet de la propriété dans une
perspective économique et non plus exclusivement corporelle. De la volonté des
parties (servitudes conventionnelles) ou du législateur (servitudes légales), le droit
du propriétaire du fonds dominant portera alors non seulement sur l'ensemble des
utilités que son propre immeuble est à même de lui procurer, mais encore sur d'autres
utilités, provenant directement (servitudes positives) ou indirectement (servitudes
négatives) l'immeuble voisin. Par la servitude, l'objet du droit propriété du
maître du fonds dominant est redéfini pour être élargi153
. De manière réciproque,
l'objet du droit de propriété du maître du fonds servant est amoindri puisqu'il doit
souffrir la concurrence du propriétaire du fonds dominant dans l'appropriation de
certaines utilités, voire leur stérilisation pure et simple (servitude non aedificandi).
383 Dualité de propriétaires ? - D'un point de vue matériel, rien n'empêche le
propriétaire de deux parcelles de les aménager de telle sorte que la première puisse
profiter d'une ou plusieurs utilités procurées par la seconde (passage de canalisations
par exemple). Pour autant, cet aménagement matériel ne suffira pas à faire
naître une servitude entre ces terrains. Juridiquement en effet, une servitude ne
peut être établie qu'entre des fonds appartenant à des propriétaires différents, ce
qu'exprime l'adage nemini res sua servit (on ne peut avoir de servitude sur sa propre
chose). Lorsque cet obstacle disparaît, parce que l'une des parcelles vient à être
cédée à un tiers, la servitude pourra prendre naissance : c'est précisément l'hypothèse
visée par le Code civil lorsqu'il consacre la servitude « par destination du père
de famille » (supra no
380). Envers de la règle : lorsque la servitude a bien été instaurée
entre deux fonds différemment appropriés mais que ceux-ci viennent à être
réunis entre les mains d'un même propriétaire, les servitudes s'éteignent par confusion
(C. civ., art. 705).
■ 153. On peut illustrer la différence existant entre un découpage matériel et un découpage économique
de l'immeuble à travers la question des empiétements. La Cour de cassation estime qu'on ne peut analyser
l'empiètement au travers du concept de servitude, dès lors qu'« une servitude ne peut être constituée par un
droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété » (Cass. 3e
civ.,
24 mai 2000, nº 97-22255 ; Bull. civ. III nº 116 ; D. 2001, p. 151, note R. LIBCHABER ; RD imm. 2000, p. 316,
obs. J.-L. BERGEL ; Defrénois 2000, p. 1170, obs. Ch. ATIAS. - Cass. 3e
civ., 1er
avr. 2009, nº 08-11079 ;
Bull. civ. III nº 77 ; D. 2009, p. 2308, obs. B.MALLET-BRICOUT. - Cass. 3e civ., 6juin 2019, nº 18-14547 et
civ., 22 mars 1972, nº 71-10167 ;
18-15386 ; RTD civ. 2019, p. 622, obs. W. DROSS). La solution devrait être identique lorsque l'empiètement
n'est qu'aérien, même s'il gêne moins l'usage du fonds (Cass. 3e
Bull. civ. III nº 207). Au vrai, ce que peut réaliser l'empiètement, foncier ou aérien, après usucapion, n'est
qu'un redécoupage matériel de l'immeuble et non économique (redécoupage en volume en cas d'empiètement
aérien : supra nº 366 et la note). La Cour de cassation admet néanmoins la possibilité d'une servitude
d'empiètement aérien (Cass. 3e
civ., 12 mars 2008, nº 07-10164 ; Bull. civ. III nº 47 ; D. 2008, p. 919, obs.
civ., 5 mars 2013, nº 12-12377 ;
Deuxième partie : Les choses en rapport avec la personne
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G. FOREST, p. 1226, obs. A.-C.MONGE, p. 2462, obs. B.MALLET-BRICOUT et p. 2464, obs.
N. REBOUL-MAUPIN ; RD imm. 2008, p. 202, obs. J.-L. BERGEL. - Cass. 3e
RTD civ. 2013, p. 414, obs. W. DROSS).
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