Précis Domat - Droit des biens - 6e - 399

L'APPROPRIATION DE L'OBJET : LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
propriété de l'auteur, alors lui seul le pourrait. Autrement dit, l'absence d'exclusivité
disqualifie nécessairement la propriété puisqu'elle en est l'essence même.
L'argument est spécieux, car le propriétaire du bien intellectuel, tout comme
celui d'une chose corporelle, peut s'opposer à ce que quiconque fasse usage de
son bien sauf son autorisation. L'objection revient simplement à souligner que les
utilités fournies par une chose corporelle ne sont pas identiques à celles qu'offre
une chose incorporelle. Il faut se souvenir en effet que l'usus n'est pas une composante
du droit de propriété mais une utilité générique de la chose qui permet à son
maître de s'en servir (supra no
6 s.). Parce qu'à la différence d'une chose corporelle,
l'œuvre n'est pas localisée en un point précis mais est dotée d'ubiquité,
étant partout et nulle part à la fois, l'exclusivité de son usage a nécessairement
une portée différente4
.
467 Qualifications alternatives. - Le refus de voir dans le créateur un propriétaire
véritable a naturellement ouvert sur le sui generis :n'ayant ni droit réel, ni droit
personnel, le créateur s'est vu investi un droit original, qualifié de droit intellectuel.
L'analyse est descriptive, donc déceptive : elle n'appelle aucun régime particulier
sinon celui que la loi propose avec ses lacunes propres. Plus intéressantes sont les
qualifications axées sur une approche économique de la problématique. On a voulu
voir dans les prérogatives du créateur des droits de monopole ou de clientèle5
. Ces
analyses, si elles rendent hommage soit à l'origine historique des propriétés
intellectuelles6
soit à leur évolution commune vers une logique de marché, ne rendent
pas compte de la nature juridique des droits en cause ; sauf à observer qu'elles
renvoient indirectement à l'idée de propriété qu'elles entendent pourtant combattre,
le monopole étant fondamentalement, tout comme la propriété, un pouvoir
d'exclure.
§2. CONDITIONS DE L'APPROPRIATION
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Division. - L'existence du droit de propriété du créateur est
soumise à certaines conditions de fond auxquelles s'ajoute, du moins lorsqu'il
porte sur une fonction, l'accomplissement de formalités particulières (A). Quant à
son exercice, il n'est pas nécessairement exclusif : on retrouve, à propos des biens
intellectuels, les figures de l'appropriation indivise et collective (B).
■ 4. Concrètement parlant, si l'œuvre est utilisée par de très nombreuses personnes simultanément et non
par son seul auteur, c'est uniquement parce que son ubiquité autorise un tel usage simultané sans jamais
que la jouissance de l'un contredise la jouissance de l'autre.
■ 5. V. P. ROUBIER, « Droits intellectuels ou droits de clientèle », RTD civ. 1935, p. 251 s.
■ 6. Le monopole, qui n'est jamais qu'un privilège (privata lex, loi privée), consiste à se faire octroyer par
le Prince le droit exclusif d'exercer telle ou telle activité moyennant finances. La désignation du brevet dans
le monde anglo-saxon exprime parfaitement cette origine : «patent », c'est originairement (on parlait français
à la cour d'Angleterre) la lettre patente (ie publique) du souverain octroyant un privilège d'exploitation
de l'invention. C'est avec la Révolution (un peu avant en vérité) que les auteurs, trop longtemps placés à la
merci des éditeurs, vont obtenir en place de ces derniers le monopole de reproduction de leur œuvre. Changement
d'esprit, ce monopole ne sera plus conçu comme une concession du souverain mais comme un droit
découlant naturellement de leur activité créatrice, autrement dit comme un droit de l'homme.
Deuxième partie : Les choses en rapport avec la personne
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