Précis Domat - Droit des biens - 6e - 61

LA RÉUNION DES UTILITÉS DE LA CHOSE : LA PROPRIÉTÉ
effet céder efficacement une seconde fois un bien dont il a perdu dès la conclusion
de la première vente la propriété. Les choses vont pourtant différemment. En
matière immobilière, c'est l'accomplissement des formalités de publicité foncière
qui permet de départager les deux acquéreurs en conflit : sera préféré le premier à
avoir publié (sur cette question, supra no
similaire, à ceci près qu'en l'absence de système de publicité organisé administrativement,
c'est la possession, laquelle n'est jamais qu'une forme de publicité à
l'état brut, qui la remplace (supra no
34).
b) Règle spéciale aux revendications mobilières : « enfait de meubles,
la possession vaut titre »
58 Existence d'une présomption légale de titre. - Il est exceptionnel en matière
mobilière qu'aucune partie n'ait de titre. En effet, le possesseur actuel du meuble,
dès l'instant que sa possession est utile (autrement dit paisible, publique, non précaire
et non équivoque : infra no
lier d'acquisition dudit meuble. C'est ce qu'exprime originellement la règle « en
fait de meubles, la possession vaut titre » (C. civ., art. 2276)120
.
Cette règle probatoire s'est imposée sur la foi de considérations pratiques.
Comme il n'est pas d'usage de dresser un écrit pour constater les mutations de
meubles, il aurait été facile à l'aliénateur du meuble qui, lui, avait conservé un
titre d'acquisition (contrat de vente, inventaire de succession...), de revendiquer la
chose entre les mains de son acquéreur, en invoquant sa possession antérieure.
Dans un tel cas, l'acquéreur était condamné à succomber à la revendication : les
possessions respectives se compensent, mais le titre donne l'avantage à l'aliénateur.
Pour éviter un tel abus, le Code civil prête à celui qui possède utilement le meuble
le titre qui lui fait défaut121
. Autrement dit, le Code crée une présomption légale de
■ 120. C'est avec cette unique dimension probatoire qu'elle est introduite dans le Code civil. La Cour de
cassation, jusqu'au début du XX
e siècle, ne lui donne pas d'autre portée : en 1907, Saleilles souligne encore
qu'au rebours des auteurs, la jurisprudence « ne voit dans l'article 2279 [actuel art. 2276] qu'une présomption
de titre » (R. SALEILLES, De la possession des meubles. Études de droit allemand et de droit français,
LGDJ, 1907, nº 15). V. sur l'ensemble de la question, W. DROSS, « Le singulier destin de l'article 2279 »,
RTD civ. 2006, p. 27 s.
■ 121. Les possesseurs successifs du meuble le seront généralement à la faveur d'un contrat (vente,
louage, prêt, dépôt, etc.), conclu personnellement entre les parties ou entre leurs auteurs : il n'est ainsi
pas rare qu'un litige naisse entre un possesseur et l'héritier du propriétaire qui estime que le défunt ne
s'était défait du meuble qu'à titre de prêt ou de dépôt. Dans ces situations, la doctrine considère que l'article
2276 du Code civil est pleinement applicable dans sa dimension probatoire et permet à celui qui a reçu
le meuble en exécution du contrat de refuser sa restitution, au simple motif que ce texte le présume légalement
propriétaire. Cette analyse doctrinale, fréquemment consacrée par la jurisprudence (Cass. 1re
20 oct. 1982, nº 81-13482 ; Bull. civ. I nº 298 ; RTD civ. 1983, p. 559, obs. Cl. GIVERDON. - Cass. 1re
8 déc. 1987, nº 86-12124 ; Bull. civ. I nº 338. - Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, nº 96-18411), est néanmoins dis32).
En matière mobilière, la solution est
239 s.), est légalement supposé avoir un titre réguciv.,
civ.,
cutable.
Comme la Cour de Cassation a eu jadis l'occasion de le souligner « l'article 2279 a pour objet de
protéger le possesseur d'un meuble contre une revendication intentée par un tiers et non contre l'action de
celui qui, ayant été par lui-même ou par son auteur, partie à l'acte qui est la cause de la possession, attaque
cet acte ou soutient que le possesseur est tenu de lui restituer le meuble en vertu d'une obligation personnelle
» (Cass. req., 5 août 1878, S. 1880, 1, p. 294).
La Cour de cassation refuse toutefois tout jeu de l'article 2276 entre époux, la règle spéciale de l'article
1538 dérogeant à la règle générale (Cass. 1re
civ., 7 nov. 1995, nº 92-10051 ; Bull. civ. I nº 395 ; Defrénois
1996, p. 409, obs. G. CHAMPENOIS ; RTD civ. 1997 p. 211, obs. B. VAREILLES et 1998, p. 139, obs.
Première partie : Les rapports de la personne aux choses
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