Précis Domat - Droit des biens - 6e - 84

DROIT DES BIENS
Le second visage de la pluralité est celui des usufruits successifs. Il s'agit de
désigner un premier usufruitier de la chose tout en prévoyant qu'àl'extinction de
son droit (généralement par son décès), la propriété du bien ne reviendra pas au nupropriétaire
mais à un second usufruitier, qui la conservera lui aussi à titre temporaire
(là encore en principe jusqu'à son décès)199
. Le nombre d'usufruitiers successifs
n'est pas limité, sous la seule réserve générale qu'ils existent au jour de la
constitution de l'usufruit. En pratique, tandis que le droit du premier usufruitier
n'est affecté que d'un terme, celui des autres apparaît comme essentiellement
conditionnel : ils ne recueilleront en effet la propriété temporaire de la chose qu'à
condition d'avoir survécu au premier usufruitier200
.
85 Incidence de la consomptibilité de la chose : difficulté. - Un usufruit peut-il
porter sur une chose consomptible, autrement dit sur une chose dont on ne peut
user sans la consommer - sans la détruire -, ainsi d'une cigarette ?201
Il semble
bien qu'à répondre positivement, on se heurte à une alternative indépassable dans
l'analyse classique de l'usufruit.
- Soit on interdit à l'usufruitier de se servir de la chose pour éviter qu'il ne se
trouve dans l'incapacité de la restituer à la fin de l'usufruit, mais alors cet usufruit
ne présente aucun intérêt pratique. Théoriquement d'ailleurs, l'impossibilité d'user
contredit la notion même d'usufruit.
- Soit au contraire on permet à l'usufruitier de s'en servir, mais alors il faut
admettre qu'il peut détruire la chose, si bien que l'usufruitier, en bénéficiant de
l'abusus tenu pour la prérogative essentielle de la propriété, ne peut être qu'un propriétaire.
C'est
cette seconde branche de l'alternative qui est aujourd'hui presque systématiquement
défendue en doctrine. L'usufruit portant sur une chose consomptible
est possible (le Code civil l'affirme : art. 587) et doit rendre l'usufruitier propriétaire
de la chose, à charge pour lui d'en restituer l'équivalent à la fin de
s'éteint par la mort de son titulaire, la situation de concurrence disparaît mais l'usufruit du survivant continue
à grever l'intégralité de la chose.
■ 199. Rien n'interdit au nu-propriétaire de consentir un usufruit successif postérieurement à la naissance
du premier usufruit (Cass. 1re
Bull. civ. IV nº 161).
civ., 3 oct. 2000, nº 98-21969. - Cass. com., 30 mai 1995, nº 93-16978 ;
■ 200. Les usufruits successifs ont d'abord été condamnés sur le fondement de la prohibition des pactes
sur succession future (C. civ., art. 722. - Cass. 1re
civ., 20 avr. 1983, nº 82-10848 ; Bull. civ. I nº 124 ; JCP G
1984, II, 20257, obs. E. DE LA MARNIERRE ; RTD civ. 1984, p. 349, obs. J. PATARIN ; Defrénois 1984, p. 1355,
obs. G. CHAMPENOIS et 1985, p. 1220, note M. GRIMALDI), mais la Cour de cassation les valide aujourd'hui
qualifiant l'opération de donation à terme de biens présents (Cass. 1re
civ., 21 oct. 1997, nº 95-19759 ;
Bull. civ. I nº 291 ; JCP G 1997, II, 22969, note I. HAREL-DUTIROU ; RTD civ. 1998, p. 721, obs. J. PATARIN
et p. 937, obs. F. ZENATI. - Cass. ch. mixte, 8juin 2007, nº 05-10727 ; Bull. ch. mixte nº 6 ; JCP G 2007, II,
10130, note G. GOUBEAUX). Le second usufruit étant assorti d'un double terme, un terme extinctif lié au
décès de son titulaire et un terme suspensif, lié au décès du titulaire de premier rang, la conjugaison de
ces termes rend l'exercice du droit de l'usufruitier de second rang aléatoire.
■ 201. La consomptibilité matérielle est la qualité des choses dont l'usage immédiat est destructeur, le
Code civil n'assimilant pas les choses qui se consomment par l'usage (C. civ., art. 587) et celles qui se
dégradent par l'usage (C. civ., art. 589).
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