Précis Domat - Droit des biens - 6e - 89

LA RÉUNION DES UTILITÉS DE LA CHOSE : LA PROPRIÉTÉ
droit à autrui. Il faut seulement tenir compte de la règle nemo plus juris... voulant
que l'usufruitier ne puisse conférer à autrui plus de droit qu'il n'en a lui-même. Si
bien que s'il peut céder la chose, le droit du cessionnaire est naturellement appelé à
disparaître lorsque le sien s'éteindra. C'est dire en pratique que la mort de l'usufruitier
cédant (puisqu'elle constitue généralement le terme de l'usufruit) entraînera
l'extinction automatique du droit du cessionnaire216
.
De la même manière qu'il peut céder son droit, l'usufruitier peut aussi le grever
de droits réels, principaux217
ou accessoires (C. civ., art. 2392 2o
pour l'hypothèque).
La figure de l'usufruit d'un usufruit, inexplicable dans l'analyse classique
de la propriété, relève ici de l'évidence : le droit de propriété temporaire du cédant
est transmis plus temporairement encore au cessionnaire. Quant aux droits réels
principaux qui procèdent d'un démembrement d'une ou plusieurs utilités de la
chose au profit d'un tiers (infra no
114 s.), de la même manière qu'un propriétaire
ordinaire peut démembrer sa chose, l'usufruitier, parce qu'il est un propriétaire, le
peut aussi, à la seule différence là encore que son droit étant temporaire, le démembrement
disparaît nécessairement lors de la disparition du droit de l'usufruitier. Le
raisonnement est exactement le même pour les droits réels accessoires qui ne sont
pas autre chose qu'un démembrement de la valeur d'échange des choses plutôt que
de leur valeur d'usage (infra no
120 s.).
92 Accomplissement d'actes juridiques : droits personnels. - L'usufruitier peut
pareillement consentir un droit personnel sur la chose, lequel devrait en principe
prendre automatiquement fin à la mort de l'usufruitier. Toutefois, le Code civil,
afin de protéger les intérêts des preneurs, organise une certaine « opposabilité »218
des baux consentis par l'usufruitier, en distinguant selon que ceux-ci ont été passés
pour une durée inférieure ou supérieure à neuf années (C. civ., art. 595). Dans le
premier cas, le bail conclu par l'usufruitier219
liera le nu-propriétaire jusqu'à son
terme, dans le second cas jusqu'au terme de la période de neuf ans en cours à l'extinction
de l'usufruit. Quant aux baux commerciaux ou ruraux, leur validité même
■ 216. Concrètement parlant, le cessionnaire de la chose ne peut prétendre que son droit s'éteindra à son
propre décès : la cession n'a aucun effet sur le terme naturel de l'usufruit qui demeure le décès de l'usufruitier
originaire.
■ 217. Pour un droit d'usage et d'habitation : Cass. 3e
civ., 7 avr. 2004, nº 02-18979 ; Bull. civ. III nº 86 ;
JCP G 2004, I, 171, nº 7, obs. H. PÉRINET-MARQUET ; D. 2004, p. 2469, obs. N. REBOUL-MAUPIN.L'usufruit
légal des parents crée un cas d'usufruit sur usufruit lorsque leur enfant mineur est lui-même usufruitier.
■ 218. Le mot est entre guillemets car le bail régulièrement conclu n'est pas « opposable » au nu-propriétaire
à l'échéance de l'usufruit : il l'engage véritablement et le rend débiteur de toutes les obligations du
bailleur. Elle suppose l'absence de fraude dans la conclusion du bail (Cass. 3e
15604 ; RTD civ. 2021, p. 678, obs. W. DROSS).
civ., 25 mars 2021, nº 19■
219. Le Code envisage aussi l'hypothèse où le bail aurait été conclu ou renouvelé de manière anticipée
par l'usufruitier : un tel bail lie-t-il le nu-propriétaire ? La loi distingue selon l'époque du renouvellement
(ou de la conclusion) du bail (C. civ., art. 595 al. 3). Si ce nouveau bail a été conclu plus de trois ans (biens
ruraux) ou plus de deux ans (immeubles d'habitation) avant la fin du bail en cours, alors il n'engagera pas
le nu-propriétaire, à condition toutefois que l'usufruit prenne fin avant que ce bail ait reçu commencement
d'exécution. Par exemple, si l'usufruitier renouvelle en 2021 le bail d'habitation du locataire dont le terme
est fixé en 2023, ce renouvellement consenti trois ans avant l'échéance du bail en cours n'obligera pas le
nu-propriétaire si l'usufruit s'éteint avant 2023, mais celui-ci sera tenu de le respecter si l'usufruit prend fin
après 2023 car le bail renouvelé aura commencé d'être exécuté avant la fin de l'usufruit.
Première partie : Les rapports de la personne aux choses
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