Précis Domat - Droit des biens - 6e - 93

LA RÉUNION DES UTILITÉS DE LA CHOSE : LA PROPRIÉTÉ
La question se complique cependant lorsque le défaut d'entretien est tel qu'il
compromet irrémédiablement le droit futur du nu-propriétaire et caractérise ainsi
une atteinte à la substance de la chose. Doit-on alors admettre que le nu-propriétaire
puisse en cours d'usufruit, et sans pourtant en requérir la déchéance, contraindre
l'usufruitier à remettre la chose en état ? La jurisprudence l'admet parfois234
. Cette
solution est critiquable dès l'instant qu'aucun lien d'obligation n'existe entre eux.
Les tribunaux en sont venus à faire droit à de telles demandes par un raisonnement
tronqué, car si le nu-propriétaire peut réclamer la déchéance de l'usufruit et, une
fois celle-ci prononcée, la réparation des dégradations apportées à la chose (infra
no
98), il ne s'ensuit pas qu'une telle remise en état puisse être exigée en cours
d'usufruit. La propriété temporaire de l'usufruitier fait nécessairement obstacle,
tant qu'elle se maintient, à toute immixtion d'un tiers - quel qu'il soit - dans la
relation du maître à sa chose.
97 Obligations du nu-propriétaire en cours d'usufruit ? - Si l'usufruitier ne
peut être tenu d'aucune obligation envers le nu-propriétaire, la réciproque est tout
aussi exacte. La succession de leur droit sur la chose ne saurait créer aucun rapport
actuel d'obligation entre eux. Certes, l'article 599 énonce que « le propriétaire ne
peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l'usufruitier
», mais il n'y a pas là l'énoncé d'une obligation spécifique. La disposition ne
fait qu'exprimer l'opposabilité du droit de l'usufruitier à tous : si le législateur a cru
bon de réaffirmer spécifiquement cette opposabilité de l'usufruit au nu-propriétaire,
c'est simplement parce qu'en pratique, il y a plus à craindre que le trouble vienne
de lui.
On pouvait néanmoins être tenté de déceler une obligation du nu-propriétaire
envers l'usufruitier dans l'article 605 alinéa second qui dispose que « les grosses
réparations demeurent à la charge du propriétaire (...) »235
.Ce n'est pas ainsi que
le texte a été interprété par la jurisprudence, et à juste titre. L'usufruitier, contrairement
à un preneur à bail, ne peut jamais exiger du nu-propriétaire qu'il effectue à
ses frais ces réparations importantes236
. Si elles sont nécessaires et que le nu-propriétaire
se refuse à les exposer, l'usufruitier n'ad'autre choix que de les supporter
■ 234. Cass. 3e
la durée de l'usufruit, contraindre l'usufruitier à effectuer les réparations d'entretien tendant à la conservation
de l'immeuble » (Cass. 1re
RTD civ. 1962, p. 527, obs. H. SOLUS).
■ 235. L'article 606 définit de manière restrictive les grosses réparations : ce sont « celles des gros murs et
des voûtes et le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de
soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d'entretien ». Cette liste est
considérée comme limitative par la Cour de cassation (Cass. 3e
civ., 25 mars 2021, nº 19-15604 ; RTD civ.
2021, p. 678, obs. W. DROSS. - Cass. com., 12juin 2012, nº 11-11424 ; D. 2012, p. 2139, obs.
B.MALLET-BRICOUT) qui, de manière générale, adopte une conception des grosses réparations beaucoup
plus stricte que celle des juges du fond. L'hésitation est parfois permise (ravalement de façade : dépense
d'entretien : CA Paris, 9 mars 2005, Juris-Data nº 2005-282024. - grosse réparation : CA Paris, 30 mai
2005, Juris-Data nº 2005-275047).
■ 236. « L'article 605 n'autorise pas l'usufruitier à agir contre le nu-propriétaire pour le contraindre à
exécuter les grosses réparations nécessaires à la conservation de l'immeuble soumis à l'usufruit » :
Cass. 3e
civ., 10 juill. 2002, nº 00-22168 ; Rev. Loyers 2002, p. 56, obs. Ph. RÉMY. - Cass. 1re
2013, nº 12-18537, à paraître au bulletin ; RTD civ. 2014, p. 149, obs. W.DROSS. - Cass. 3e
2006, nº 05-15750), étant précisé que le refus du nu-propriétaire ne peut pas être constitutif d'abus
Première partie : Les rapports de la personne aux choses
civ., 18 déc.
civ., 28 nov.
93
civ., 10 juill. 1963, aff. Montigny ; Bull. civ. III nº 383. - « Le nu-propriétaire peut, pendant
civ., 21 mars 1962, Bull. civ. I nº 175 ; JCP G 1963, II, 13272, note H. G. ;
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