Manuel - Introduction générale au droit - 7e - 95

Trancher les litiges
de la procédure est au cœur de la protection des droits fondamentaux119
et
la Cour européenne est saisie bien plus souvent par des requérants se
plaignant d'une violation du droit au procès équitable que d'une violation
du droit à la vie privée ou de la liberté d'expression120
. Par ailleurs, la Cour
européenne se montre très vigilante et a obligé la justice française à de
nombreux aménagements à ce titre121
.
niveau de la règle122
93. Le contradictoire et l'émergence du juste. - Plus encore qu'au
, la conscience que le juste échappe à la décision du
juge est criante : le jugement sera invariablement perçu comme juste par
la partie gagnante et injuste par son adversaire malheureux. Le droit du
procès ne peut donc pas promettre une décision qui serait juste dans sa
substance, qui assurerait la paix ou qui donnerait la vérité. En revanche, il
garantit une décision juste formellement, par les conditions dans lesquelles
elle a été rendue. C'est peut-être peu mais c'est probablement tout ce
que le droit peut promettre sans se trahir. Contrairement au juste substantiel,
ce juste formel n'est pas qu'un vœu pieux ou un idéal plus ou
moins réalisable : il est une exigence car « si une procédure juste ne prémunit
pas des sentences injustes, il y a peu de chances, en revanche,
qu'une procédure injuste conduise à de justes sentences »123
. Cette justice
du procès s'appuie largement sur le respect du contradictoire, c'est-à-dire
sur la possibilité pour chaque partie de présenter ses arguments devant le
juge et de débattre de tous les éléments du procès. Ce principe est à ce
point cardinal que, plus qu'un principe directeur du procès, certains y
voient un principe de droit naturel124
. Il garantit un véritable « droit de
savoir et de discuter »125
. Il organise l'échange loyal et contradictoire d'argumentations
et c'est de cette confrontation qu'émergera la décision.
Parce que le procès est débat de paroles, finalement tranché par une
autre parole, celle du juge, il est ce « lieu de la société (...) où la parole
l'emporte sur la violence »126
.L'argumentation raisonnable devient ainsi
le seul moyen de prétendre porter un jugement juste. La procédure doit
mettre en place le cadre d'une communication éthique et transparente,
seule à même de faire accepter la décision rendue comme une décision
légitime127
. La détermination du juste n'est plus dès lors une question de
119. S. GUINCHARD, « Le procès équitable : droit fondamental ? », AJDA, nº spécial, 1998, p. 191 ; M.BANDRAC,
«L'action en justice, droit fondamental », in Mélanges R. Perrot, Dalloz, 1996, p. 1.
120. Sur les 1163 arrêts rendus en 2021, 223 portaient sur le procès équitable, auquel il faut ajouter les
92 arrêts mettant en question la durée de la procédure ou les237 relatifs au droit à un recours effectif. En
revanche, 176 arrêts portaient sur le droit à la vie privée et familiale et 57 sur la liberté d'expression.
121. Dont la transformation du commissaire du gouvernement, membre de la juridiction administrative
qui donne, en toute indépendance, son opinion sur les requêtes, en « rapporteur public », v. B. PACTEAU,«Du
commissaire au rapporteur, suite... et à suivre ! », RFDA 2009. 67.
122. V. supra, nº 34 et s.
123. Théorie générale du procès, nº 53.
124. S. GUINCHARD et alii, Droit processuel,préc.,nº 639.
125. Théorie générale du procès, nº 181.
126. P.RICOEUR, Le Juste,Esprits,1995, p. 10.
127. V. Ch. PERELMAN, Logique juridique - Nouvelle rhétorique, Dalloz, 1999 (l'ouvrage original date de 1977).
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